tim tibidum lalalou lalèère

Le soleil avait décidé de pointer un bout de son nez, ce jour-là. Du moins c'est ce qu'il aurait fait si un nuage de pollution noir comme un derrière et épais comme une soupe de pois n'avait élu domicile au-dessus des toits.

Planté sur un trottoir crasseux, indifférent au vacarme de la rue, Requiem accordait son crincrin avec soin, oscillant sans cesse sur ses pieds comme un automate aux rouages rouillés.
Ses grandes mains firent grincer les mécaniques, pincèrent quelques cordes, tirèrent quelques notes un peu dissonnantes avant de porter à la bouche un nouveau clopiot.

L'homme redressa un peu sa silhouette toujours de gingois, tira une latte pensive sur sa roulée qui semait des brins de tabac aux quatre vents, avant de se mettre à mouliner un air endiablé sur les cordes usées.
Sans cesser son étrange balancement, les yeux à moitié fermés, il fit chanter la rue sous le ciel plombé, un air tzigane aux vagues relents de voyage et de tango sur le pavé.

Les passants passaient, le laissant seul dans son ilôt de musique, au milieu des marmots qui béaient devant ce drôle de type qui lâchait de temps à autre des panaches de fumée dans l'air gras de pollution, comme une vieille locomotive à vapeur.

Malgré sa qualité de policier, il arrivait qu'Andrea se promène dans les rues de l'Armansva pour autre chose que rechercher de quelconques traces qu'il analyserait par la suite dans le laboratoire du commisariat.
Sur cette île là de Gallisco il n'y avait pas que des membres de la pègre qui sévissaient à chaque coin de rues. Certes, l'Armansva n'était pas des plus fréquentables, mais selon l'heure et selon l'endroit, on pouvait trouver des coins sympathiques... Crasseux certes, mais peu cher. Et ce jour là, Andrea tenait à honorer la promesse qu'il avait faite à la prunelle de ses yeux. Ainsi avait-il fait le déplassement jusqu'à ce quartier afin d'acheter un beignet au chocolat chez l'un des pâtissier préférés de son fils. Certes, il y en avait de meilleurs ailleurs, comme dans les rues alentours de la place de la Bourse. Mais Andrea n'était plus ce qu'il était, et n'avait des Valentine que le nom, et les yeux. Il s'agissait d'ailleurs des deux seuls éléments que Timothée, son fils, avait hérité de cette grande lignée. Du reste, Andrea était devenu comme Monsieur Toutlemonde. Malgré son emploi, il était loin de rouler sur l'or. Il arrivait à vivre convenablement mais était chaque jour obligé de compter ses sous et parfois se voyait obligé de faire des concessions. De la même manière, la plupart des produits qu'il achetait se trouvaient être des premiers prix. Il n'était donc certes pas pauvre, mais son train de vie était à mille années lumières de celui de sa soeur.

Vêtu d'un simple tee-shirt près du corps, d'un jean délavé et d'une paire de tennis, sans oublier la présence d'éternels bracelets autour de ses poignets, Andrea avançait avec légereté, les mains dans les poches. Timothée, lui, tortinait à ses côté pour éviter d'être semé, tout en mangeant son beignet. Cependant le libertin déchu n'était pas si détendu que ça. Car voilà que son adorable mioche s'était mis en tête de lui poser des questions sur cette mère dont il se souvenait à peine du nom.

"Et tu crois que Maman est à Gallisco?" avait-il commencé de sa joli voix fluette.

"Oh non, t'inquiètes pas, je l'aurais retrouvé sinon..."

Le père, par son intonation semblait légèrement bougon. Mais Timothée, certainement trop innocent, sauta sur l'occasion et rétorqua un sourire ravi aux lèvres.

"C'est vrai? Toi aussi tu meurts d'envie de la voir?"

Il y a certaines questions des gamins qui font vraiment mal. Ce n'était pas que cela rappelait de mauvais souvenirs à Andrea, loin de là, mais c'était plutôt qu'il était exposé à un un problème... S'il disait la vérité à son fils -il n'avait absolument rien à foutre de sa mère- cela le blesserait. Cependant il se refusait de mentir à son enfant. Tandis qu'il restait silencieux, le marmôt reprenait: Alors?! Alors?! Ce qui finalement, décida Andrea à ouvrir la bouche.

"Il n'est pas bon de forcer les gens à faire ou être ce qui ne leur conviendrait pas. Ce qui compte, c'est que ta mère soit heureuse, avec ou sans nous, et que toi, tu te sentes heureux avec moi. Es-tu heureux Timothée?"

Un sourire d'ange apparut alors sur le visage du petit garçon. Finalement, ce dernier lui prit la main. Ils continuèrent ainsi, jusqu'à ce que monte à leurs oreilles une musique.

"Dis papa qu'est-ce que c'est? Tu la connaîs cette musique?"

Un rire de dépit s'échappa des lèvres de l'homme. Ce n'était pas l'homme qui l'avait procrée qu'il avait pu développer une culture musicale. Dépité, il reprit...

"Ce n'est pas avec le père de ma soeur que j'ai pu réellement m'intéresser à la musique tu sais..."

Andrea depuis des années maintenant ne disait plus "mon père". De même il ne qualifiait jamais Haven de "tante", soit disant parce qu'il trouvait que cette appellation avait tendance à la vieillir, ce qui était bien dommage. Encore une fois, le petit eut une nouvelle question embarrassante.

"Dis papa, quand est-ce que tu me présentes à Haven?"

Andrea sentit son coeur se serrer. Que pouvait-il bien répondre? Une fois qu'il l'aurait à nouveau approcher, qu'elle lui aurait mis son poing en pleine face, qu'il la traîte de tous les noms d'oiseaux pour son mépris, qu'ils se soient jeté à la figure les plus belles insultes et qu'il lui dise enfin qu'elle avait un neveu qui avait le droit de connaître sa famille?
Par chance, Andrea s'apperçut que la musique émanait d'un visage connu. C'était à croire que Requiem n'était jamais aussi bien tombé.

"Regarde Timothée, c'est Requiem! Tiens prends cette pièce et va la lui porter! Mais ne le déconcentre pas d'accord?"

-'R'ci gamin, lâcha Requiem lorsque la pièce tomba dans l'étui à violon à ses pieds.

Il moulina encore quelques notes, gratifia le môme d'un sourire enfumé par le mégot qui semblait collé à la comissure de ses lèvres, avant d'entamer un nouvel air pas si différent du précédent.
Sous le ciel plombé du quartier miteux, au milieu des passants pressés et de la misère ambiante, le musicien sembla ramener un peu de couleur dans la grisaille quotidienne; bientôt sa voix rauque se mêla aux trilles du violon pour rejouer cette interminable rengaine qu'il chantait quand il n'avait rien de mieux à faire.

Un air qui semblait vieux comme le monde, que tous avaient déjà entendu au moins une fois sous les doigts du mendiant, mais qui s'envolait toujours de la même façon dans les ruelles mal pavées, comme une photo d'un heureux passé qui virevoltait dans la brise. L'usage avait depuis le temps terni ses couleurs et ses accents étranges, mais cette chanson inusable résonnait toujours dans les rues du quartier, parce que tout clodo misérable qu'il était, Requiem n'en restait pas moins un foutu musicien.
Et y'a des choses, comme le vélo, qui dans la vie ne s'oublient pas.

Un clin d'oeil adressé à son adorable enfant et voilà qu'il sorti son porte feuille. En l'ouvrant Timothée put voir la carte de police de son père, un sourire s'éclaira et il lança un regard empli d'admiration à son père. Andrea sourit. Il savait qu'à cet âge là, la plupart des gamins vouaient une profonde admiration aux policiers, aux gardiens de la paix. Son fils le prenait probablement pour un héros. S'il savait... S'il savait qu'Andrea était loin d'être un héros. Selon lui, il n'était qu'un dandy déchu qui ne plaisait plus qu'à la managère envieuse de faire sa vie avec un type voulant se faire passer pour quelqu'un de bien. Mais Andrea et l'engagement... ce n'était pas pour tout de suite. Il semblait plus être tel un célibataire endurci qui, lorsque l'envie lui prenait d'ajouter une nouvelle conquête à sa collection, se servait de temps à autre de son fils pour aller charmer. A présent les jeunes filles n'étaient plus ses cibles. Ils savaient que ces dernières tournaient systématiquement la tête lorsqu'il passait, mais dès qu'elles apercevaient Timothée, tournaient la tête d'un air dépité. Et pourtant, il n'y avait pas de Madame Valentine, seulement une Mademoiselle.
L'ancien libertin déposa ensuite quelques piécettes dans la peau de la main de son fils. Il lui ébouriffa les cheveux avant de lui donner une accolade, tout en le poussant doucement dans la direction de Requiem. Et là il l'observa mieux, la prunelle de ses yeux. Timothée avait les cheveux clairs, et les yeux gris, marque de fabrique des Valentine. Il ressemblait énormément à son père, en miniature. Andrea, malgré ses erreurs à répétition, ne voulait qu'une chose pour son fils: son bonheur. C'était pour cela qu'il croyait dur comme fer à l'idéologie de la Renaissance de Pandore. Mais un jour viendrait où la Renaissance éclaterait au grand jour, où l'Âme et les autres groupes comprendraient qu'il ne s'agissait pas d'une vieille légende oubliée. Cela sous-entendait que chacun des membres serait traqué, et il en allait de la sécurité de Timothée. Andrea devrait-il se séparer de l'être qu'il chérissait le plus?

Une autre question se posait. S'en prendrait-on également à Haven, s'il advenait qu'il soit suspectée? Peut être, mais si la belle Haven avait fait comme le papa, alors elle était à L'Apocaliptic Blow, ce qui sous-entendait que pour une fois, l'Âme et l'Apo auraient un ennemi commun. S'il était en froid avec sa soeur depuis environ dix ans, ce n'était pas au point de devenir son ennemi. C'était pour cela qu'Andrea avait parfaitement conscience qu'il fallait qu'il retouve sa soeur, un jour ou l'autre. Eux deux avaient certainement beaucoup de choses à se dire, à se reprocher. Cela prendrait peut être du temps avant qu'Andrea ne lui avoue ses desseins... assez noirs contre l'oeuvre de son père...

Timothée arrivant à bon port, déposa l'argent. Voyant que son père le regardait, la garçon agita la main, un sourire s'étirant jusqu'à ses oreilles. Si Andrea y répondit gaiement, au fond de lui son coeur se pinçait. Au fond de lui, il essayait de se persuader qu'il avait fait le meilleur des choix. Il ne voulait pas que son fils soit formaté, ni qu'il rejette toutes valeurs pour embrasser la cause de l'Apocalptic Blow. La loi du plus fort devait cesser d'exister. Il attendit quelques instants, que la foule se dissipe, que Requiem termine son morceau. Il s'avança ensuite vers lui d'un pas tranquille, et avec un petit sourire, annonça avec légèreté:

"La journée a t elle été bonne?"

Il serra la main de son interlocuteur, et reprit:

"Je peux t'offrir à boire? Quelque chose à manger?"

-Bah pas plus mauvaise qu'une aut' mais on va pas s'plaindre, répondit Requiem avec un reniflement en allumant une énième sèche.

Il cala son mégot au coin de ses lèvres et rangea son violon avec soin dans un vieux sac à guitare où se trouvait déjà une vieille gratte aussi usée que le reste.
Le mendiant jeta le tout sur son dos, avant de glisser à son épaule décharnée la bretelle trouée d'un grand sac crasseux qui contenait ses trésors bringuebalant dans le plus grand désordre.

Un geste approximatif releva les longs cheveux qui lui tombaient devant le visage et il jeta un regard absent au ciel lourd. Au fond de sa poche, les quelques pièces du gamin qu'il avait raflées aussitôt pour ne pas se les faire faucher allaient pouvoir payer un quart de tiers de sa dose quotidienne..

-Si ça vous chante j'crach'rais pas sur un p'ti verre, reprit-il lentement en laissant échapper un escadron de ronds de fumée.

Candy pointa un museau curieux sous son bonnet.

-Mais ouais jvais te trouver d'quoi grailler, marmonna son maître en lui grattant la tête.

Munie de son rouge à lèvre, un peu de mascara et du fond de teint, la jeune femme se remaquilla après avoir laissé un de ses clients habituels. Elle s’habilla d’un petit bustier noir et blanc, avec une jupe courte assortie, se recoiffa rapidement et prit l’argent qu’elle avait gagné plus tôt dans la journée.
Cinderella mis un pied dehors et respira à plein poumon l’air pollué de Gallisco. Affamée, la jeune dirigeante de la renaissance de Pandore, se dirigea dans un petit magasin plus ou moins dans ses moyens.

Après avoir acheté une brioche, Cinderella se retrouva face à deux de ses « collègue » de la renaissance. La brioche dans les mains, le sourire aux lèvres la dirigeante se dirigea vers eux, jusqu’à ce qu’elle aperçut le jeune garçon du bel Andrea. Cindy descendit un peu sa jupe, pour qu’elle est l’air mon courte, remonta un peu son bustier, voulant paraître un peu plus présentable devant le petit Timothée.
Tout en marchant vers eux, Cinderella les interpella, toute souriante.

« Requiem, Andrea ! Bonjour, bonjour. Belle journée, non ? »

La journée était comme une autre, mais Cindy était d’humeur radieuse, du moins pour le moment. Elle s’abaissa vers Timothée pour lui proposer un peu de brioche, bien qu’un peu racit pour l’avoir moins cher. Elle se releva ensuite au niveau des deux hommes

« Alors que faites-vous tous les deux ici ? »

-'jour mamzelle, lança évasivement Requiem en portant deux doigts à sa tempe en un vague salut.

Candy renifla l'air et le parfum de la jeune femme, puis s'intéressa de prés à la brioche qu'elle proposait au gamin et entama une descente risquée du gras de son maître, avant de dégringoler queue par-dessus tête jusqu'à sa main ouverte.

-Hey doucement toi, on t'as pas sonné! Grommela le jeune homme en le replaçant d'office sous son bonnet.

Il tira quelques bouffées sur sa cigarette en vissant un regard vitreux sur elle, puis reporta ses yeux clairs sur Valentine.

-Bon, on va s'le boire ce p'tit verre?

Dés qu'il s'agissait de boire à l'oeil, plus grand chose n'importait...

*tim tibidum lalalou lalèère*

tim tibidum lalalou lalèère