~ [ Au Parabellum ] ~

Le soleil s’est couché depuis bien deux heures sur Gallisco, cette putain de capitale mondiale que tout le monde aime tant… Ou hait tant ? Tout dépend dans quelle majorité vous vous placez… Cela faisait longtemps que je n’aimais plus cette ville… Longtemps ? Du moins un certains temps. Il fait froid, et je sors un paquet de clope de mon jeans. Fumer à dix sept ans ? Pff ! Vous êtes de l’âge de pierre, vous ! Je fume depuis que j’ai mis un pied dans cette foutue rue…

Scusez. Moi c’est Chase Cort. J’travaille ici, au Parabellum. Mais c’est mon quart d’heure de pause. J’en profite pour regarder la lune. Ronde, belle, lumineuse…

Une lumière pâle et pourtant naturelle qui se reflétait dans ces beaux yeux bleu-gris… La cigarette calée entre ses fines lèvres rouges, une nouvelle lumière vient éclairer le visage de notre nouvelle héroïne. Chase… De légères mèches dorées et un visage d’ange disparaissant derrière une couche de rimmel, de fard et de fond de teint ; une jeune fille désirant cacher ses traits d’enfant derrière une apparence provocante et rebelle, voilà ce qu’elle était ! Du moins, c’est ce que l’on devinait. Mais elle n’avait jamais démenti ou confirmer ces hypothèses…

Elle fume, tranquille, les yeux mi-clos, piqués par la fumée mais consolés par la lueur lunaire. Elle est appuyée contre un mur de briques sale et suintant d’humidité, derrière lesquels rugit une guitare au ton mordant. Musique qu’elle écoute en l’appréciant, un demi-sourire aux lèvres. Elle aime cet endroit : la minuscule arrière-cour servant généralement à entreposer les poubelles. Ca pue, certes, mais c’est le seul endroit calme et sûr à l’extérieur, surtout à une heure pareille.

Vingt trois heures… Bientôt le coup de feu. Des pas qui se font entendre derrière la porte de fer rouillée. Puis on frappe, on gueule, on appelle. Et Cort soupire, écrasant sa cigarette. C’est l’heure ouais ! On retourne au boulot ! Avec un dernier regard pour la Sainte Lune…

Mais les méchants nuages essayaient désespérément de la ronger, les enfoirés. Et lorsqu’ils y arrivent enfin, la pause est passée…

La porte s’ouvre sur un homme d’âge mûr, le ventre bedonnant et pourtant propre sur lui-même. Vêtu d’un jeans et d’une chemise pourpre par dessous un tablier, il fixait sa jeune employée d’un regard qui se voulait dur.

« Finie la pause, Cort. Y a des clients qui t’attendent ! »

Talon de la botte cloutée qui écrase donc sans aucune douceur la cigarette qui s’en ira rejoindre ses petites sœurs, la blondinet acquiesce, arborant alors son plus grand sourire. Le sourire des grands jours, le sourire des jours où elle a réussi à trouvé un rêve plutôt calme pour se reposer quelques heures cette nuit…

« J’suis la Wolvy, t’inquiète, tes clients vont pas s’envoler en trente secondes ! » Clama-t-elle en passant la porte comme une princesse sous le regard irrité de son patron.

Wolvy, ce n’était pas le vrai nom du monsieur, mais tout le monde l’appelait comme ça ici. Pourquoi ? Ah, ça elle n’en savait rien…

Chase traversa un couloir, gardant son sourire et sa mine joyeuse collée à son visage. La musique se faisait de plus en plus forte au fur et à mesure qu’elle était proche de la porte qui donnait sur le comptoir, les tables et la scène. Le Parabellum, c’était une sorte de bar-salon, qui accueillait tous les soirs les groupes de rock, punk, hard rock ou metal qui voulaient bien s’y présenter. Elle était l’une des trois serveuses qui y travaillaient, et la seule de service ce soir, en compagnie de Wolvy…

Non pas qu’elle n’aimait pas son « sauveur », car il était indéniable que si elle n’avait pas commencé à travailler ici trois ans plus tôt, elle serait sans doute morte dans un caniveau, mais il était parfois un peu trop exigeant avec elle : elle travaillait à partir de 15h jusque quatre, voire parfois cinq heures du matin lors des soirées. Nettoyer la salle, ranger, nettoyer les verres et faire le bilan des ressources derrière le comptoir et dans la réserve, ouvrir le bar à 18h et attendre les clients puis ensuite le service était couplé avec ses prestations sur scène. Inutile de dire que lorsqu’elle rentrait chez elle, la jeune fille n’avait qu’une envie… s’écrouler sur son lit.

Mais elle ne se plaignait pas pour autant. Elle adorait ce boulot et cela lui donnait une bonne raison de se lever l’après-midi. Elle adorait chanter, elle adorait faire de nouvelles rencontres et c’était donc avec le sourire qu’elle s’y rendait, même si elle s’attendait à une soirée harrassante.

Elle travaillait là trois à quatre jours par semaine : les lundis, mercredis et vendredis, et un dimanche sur deux pour un salaire qu’elle estimait correct. Cela lui permettait de vivre, et Cort ne désirait que cela : une vie peinarde.

Un rêve devenu utopie deux ans plus tôt, lorsque l’Âme de Gallisco l’avait « recrutée » dans ses rangs…

…

Elle poussa la porte. La petite salle du bar comptait déjà une vingtaine de personne, la moitié tournée vers les musiciens qui se déchaînaient comme des brutes sur scène, l’autre attendant ou buvant au comptoir, des habitués pour la plupart. La jeune fille sourit et débarqua dans le champ de vision des clients telle une poupée haute en couleurs vivante.

Elle avait pourtant essayé de s’habiller « soft » aujourd’hui, mais n’avait réussi qu’à y ajouter un peu plus de couleurs : du fard à paupière rose, une bonne couche de rimmel noir autour de ses iris bleutées ; un t-shirt sans manche d’un beau rose fluo passé par dessus un autre aux longues manches noires, les deux ayant dû faire leur temps comme en témoignaient les quelques trous et déchirures ci et là. Elle portait un jeans moulant délavé et une paire de ceintures en métal argenté, sans oublier ses poignets et son cou où trônaient ses bijoux fétiches.

« Hey, Chase ! Te v’là enfin ! Sers nous, s’tu veux bien ! » Gueula alors l’un des clients par dessus la musique.

« Okay Okay ! »

Et c’était parti pour une envolée de vodka red. Elle servit quelques clients avant de remarquer le regard d’un homme, qui attendait lui aussi. Son visage lui rappelait quelqu’un, mais elle n’arrivait plus à mettre un nom dessus. Essuyant vaguement un verre à l’aide d’une serviette qui n’avait plus l’air très fraîche, elle s’approcha de lui, son sourire toujours collé à son doux minois, posant ses mains sur le comptoir, elle se pencha vers le môssieur avec un regard interrogateur tandis que la musique redevenait silence puis applaudissements.

« Et le ténébreux, il prendra quoi ? »

Un bar….Mes pas qui me menaient encore et encore dans ce quartier maudit….Cela faisait deux jours que j’étais sorti de l’hopital et je n’avais prévenu personne… Je savais que j’aurai du téléphoner à Calli, à tenter une ultime réconciliation mais… Pour le moment je n’en avais pas le courage.

Alors je rodais….J’espérais la revoir, malgré ce qui c’était passé…Ou as-tu fui petite Haven ? Je n’en savais rien, meme si ta vision, enlacée à un autre peuplait encore mon esprit…. Oh je n’avais aucune fureur, malgré ce soupcon de jalousie…. Si on réfléchit bien, je rejoindrais bientôt le néant et il vallait mieux que cela soit fini avant…

Bref c’est dans cet état d’esprit guère joyeux que mon errance aveugle m’avait amené au parabellum, un bar de nuit comme tant d’autres… Pas plus mal qu’un autre, au moins celui-ci était un vrai bar et non pas un de ses repaires servant de couverture à des maisons de passe ou des revendeurs de drogue… Un endroit où nul ne s’occupe de son voisin, perdu entre alcool et musique… Un endroit idéal pour un type comme moi…

Un groupe joue déjà…Musique tonitruante, alors que la fumée emplie la pièce au mépris du panneau « interdiction de fumer » dans un coin. Une entorse à la loi largement ignorée vu son coté mineur dans l’enfer qu’était l’Armansva…

Une table… Un peu plus isolée de la salle que la majorité…L’endroit idéal pour un flic dépressif cherchant à ne pas se faire remarquer…J’ai mon artillerie sur le coté mais qui n’est pas armé dans ce quartier ?

Regard encore qui se promène, pensées qui vagabondent…. Je t’en prie, ne m’oublie pas Haven…. Est-ce que ça a compté pour toi ? Toutes ses questions qui me torturent encore plus à présent…..Que j’aimerai retourner en arrière, ne pas partir sur ce travail en te laissant dans notre chambre à l’hotel…

Retour à la réalité…. Une fille au sortir de l’adolescente, fringuée comme dans le quartier aux couleurs et au maquillage flashy…Des yeux pétillants et une bouille sympathique, c’est suffisamment rare dans le coin pour m’arracher un sourire..

La voila prête à prendre ma commande…. Ténébreux ? Voila qui était amusant, personne ne m’avait appeler un jour comme ça….Sourire qui s’élargit alors.

Et bien whisky….Une bouteille et un verre….

Je sors un billet de ma poche de quoi payer d’avance….. Puis un second que je mets sur le premier.

Et prenez ce que vous voulez pour vous…. C’est rare à notre époque les gens qui sourient alors…. Voila….

Et je pousse l’argent devant elle, attendant sa réponse…..

Un regard torturé, voilà ce que je voyais chez cet homme. Je venais de l’ôter de pensées bien noires et, au fond de moi, je me demandais quel était la profondeur des ténèbres qui devaient hanter son esprit. J’étais curieuse, peut-être trop,… Mais cet homme n’était pas commun, ici. Rien que la table qu’il avait choisie était trop éloignée du comptoir, trop personnelle, pour être fréquemment utilisée… Au Parab’, il existe un archétype de client. Et ce mec-là, il n’y entrait pas.

Wolvy m’avait répété maintes fois que je devais être prudente avec ce genre de type. Les mecs sombres et mystérieux, c’est pas pour les gamines. Il avait peur que je tombe dans un piège, que les flics débarquent dans son bar et lui montrent une photo de mon cadavre tuméfié trouvé dans une ruelle quelques jours plus tôt en lui posant diverses questions. Paraît que c’est ce qui est arrivé à celle que je remplace aujourd’hui… Paix à son âme. Mais moi, j’compte pas mourir de si tôt… Et puis, à notre époque, les flics ne se préoccupent plus des p’tites retrouvées mortes dans l’Armansva…

Pas vrai ?

Mais par habitude, je reste courtoise avec les clients, même s’ils m’offrent des verres… Même s’il peut s’agir de grands psychopathes près à me tuer… Car tant que je suis à l’intérieur du Parab’, je suis en sécurité.
Du moins, plus que je ne l’ai jamais été.

Chase ramena une mèche blonde derrière son oreille, son sourire s’accentuant quelque peu lorsqu’elle entendit les commentaires du môssieur. Aaah, le sourire… C’était clair que dans un quartier pareil, avec la misère d’aujourd’hui et tous les tracas du pauvre petit employé commun, les gens ne prenaient plus le temps ni la peine de sourire. Mais la blondinette, elle, devait se compter comme un cas à part ? Non, elle n’était qu’une gamine comme les autres qui essayait de gagner sa vie en gardant une certaine dignité, ce qui n’était pas donné à tout le monde par ici.

« La vie est déjà tellement moche, pourquoi la rendre plus noire encore ? »

Elle prit calmement les billets que l’homme déposait sur la table, comptant mentalement combien cela faisait. Trop pour une bouteille de whisky et un soda, cela était certain. Elle réfléchit quelques secondes, une main posée à plat sur la table, l’autre jouant de ses doigts disparaissant sous un tissu et du vernis noir, avec l’argent.

« Un whisky donc ! » Et elle se redressa, retournant au bar chercher la commande du lieutenant de police. Ah ! Tilt ! Elle avait déjà vu ce visage, effectivement ! Dans le journal, quelques jours plus tôt… Comment il s’appelait déjà ? Oh, peu importe. Un flic ! Ah, merde. Fallait faire vraiment gaffe avec ces oiseaux-là. Elle n’était pas en situation tout à fait légale…

En même temps, elle n’avait pas vraiment l’impression qu’il était là pour travailler…

Elle saisit une bouteille de whisky et un verre des plus propres. Oh, le Parab’ n’était pas une porcherie, mais l’eau coûtait cher et les clients n’étaient en général pas difficiles… En général.

« Hep, Cort ? »

Elle se retourna, posant son regard clair interrogatif sur Wolvy en train de servir une triple dose de Tequila à une femme apparemment déjà bien ivre.

« Monte sur scène dès que tu peux. »

« J’m’occupe d’un client et j’te fais ronronner ma gratte ensuite ! »

Un simple acquiescement, et la petite demoiselle était libre de rejoindre la table du fond et d’y déposer la bouteille et le verre, agrémenté d’un sourire.

« Vous êtes bien généreux pour un ténébreux. Si tous les clients étaient comme vous, ce bar aurait tôt fait de se payer le chauffage ! J’dois monter sur scène. Vous avez une chanson préférée ? »

Clin d’œil, tandis qu’elle pose ses fesses un instant sur la table.

La jeune souriait toujours, m’expliquant d’une phrase sa philosophie de la vie…Touché petite, touché et bien vu. Puisses tu garder longtemps cette pensée pour te guider et ne pas sombrer dans le défaitisme…. Pour moi c’est déjà perdu.

Jolie phrase optimiste…. C’est encore plus rare ici qu’un sourire…..Vous êtes réellement vivante ou une simple illusion d’un esprit qui n’a plus toute sa tête ?

Répondis je sur un air qui montrait bien que je plaisantais

Bref, la jeune s’éloigne à la recherche de mon nectar, tandis que mes yeux parcourent à nouveau la salle…. Le groupe sur la scène s’est tu, laissant juste le bruit des conversations en arrière plan sonore….L’épaisse fumée qui emplissait la salle aidait à ne pas me faire remarquer…. C’était l’endroit idéal pour boire et déprimer…

Ah voici Damoiselle Sourire qui revient tenant en main une bouteille de ce poison délicieux dont je fais grosse consommation…. De quoi boire cette nuit… Toujours le sourire, alors que la bouteille et le verre sont posés….

Arrêter de m’appeler ténébreux, ça me donne l’impression d’être une créature fantastique sorti d’un autre temps… Je vous rassure je ne suis pas ici pour acheter votre âme et vous proposer un pacte….

Sourire, sourire…. On en oublie presque sa dépression ici…..Une chanson…. Voila une demande particulière qui mérite attention et réflexion…..Alors qu’elle s’assoit sur ma table, je réfléchis…. Quelle chanson ou quelle musique pourrais je donc demander pour bercer mon esprit….

Je reste un instant à réfléchir ainsi….Mordant mes lèvres quelques secondes….Une chanson….Oui il y a bien une chanson….Un refrain qui me rappelle un certain…. Baiser un jour en mon bureau, ce qui fut le déclencheur de tout ce gachis qu’aujourd’hui mobilisaient mes pensées…

Mais que voulez vous, ça doit être mon coté maso qui ressort….

Et bien ma foi, puisque j’ai le choix…. Mais je ne sais pas si ça convient forcément à l’esprit du lieu….Si vous ne le sentez pas, n’hésitez pas à changer…

Silence, mon regard se redirigeant vers elle….

Ne faites pas attendre votre public pour un vieux ronchon comme moi….Mais si vous pouvez….Une chanson que j’aimerais bien : Kissing you de Des’ree… Ce serait gentil….Très gentil de votre part…

Vieux Moi ? Oui avouons le, pour cette jeunette, je dois passer pour un vieillard.

D’un geste j’ouvrais la bouteille, versant doucement le liquide ambré dans le verre, souriant à nouveau.

Et arrêter une nouvelle fois de m’appeler Ténébreux, ça me gêne….Pour vous, comme pour d’autres ca sera Wesley…

Pour réponse à tout cela… Un sourire, et un clin d’œil… Et une phrase… Toute simple… Elle n’aime pas décevoir les gens, la petite Chase, elle n’aime pas leur faire de mal, intentionnellement du moins. Parfois, il lui arrive de vexer, de taquiner, d’ennuyer, de déranger… Mais en général, elle évite d’instaurer de la peine dans le cœur des gens… Enfin, là il ne s’agit que d’une chanson… Mais cela semblait tellement lui tenir à cœur que le sourire qu’elle lui adressa à ce moment-là fut un sourire triste, mélancolique, peiné, un peu…

« Je ne joue pas de piano… »

Et elle se lève, la miss, elle fait quelques pas pour aller saisir sa guitare, bien au chaud cachée sous le comptoir. On comprend alors… La miss elle joue dans le rock et le metal, par de piano, et les chansons tristes sont souvent transformées en bombes violentes pour éclater encore plus fort dans le cœur des gens, pour leur donner encore plus d’émotion, pour les faire réagir… Mais ce soir, elle venait de décider de faire une exception, car on le lui avait demandé.

Dix secondes plus tard, ses bottines cloutées claquaient sur la scène et les clients tournaient leur tête vers elle, avec ou sans sourire de la voir là. La plupart connaissaient vaguement Chase, parce qu’ils l’avaient entendue chanter un jour précédent ou parce qu’ils en avaient entendu parler dans les environs. Wolvy arrêta de frotter le comptoir pour poser un regard bienveillant sur sa petite protégée tandis que la chanteuse en herbe donnait les instructions au batteur et au bassiste du groupe précédent qui avaient accepté de l’accompagner dans sa chanson.

Ils hochèrent la tête au bout de cinq minutes, lorsqu’elle eut fini de leur expliquer la chanson en détail, sourit et saisit sa guitare, pour s’approcher du micro.

« Bonsoir tout le monde ! Il y a du monde ce soir. On va faire un peu dans l’original alors, si vous voulez bien. Dans ce monde sombre, un peu de douceur ne peut pas faire de mal. Et n’oubliez pas, les pourboires, c’est au comptoir. »

Un sourire coquin, un clin d’œil et voilà le premier accord de guitare lancé, instaurant le silence pour laisser place à la musique…

« Perdu dans le temps je ne parviens plus à compter les mots
Que j'ai dit quand je pensais qu'on ne les entendrait pas
Tout ces pensées austères d'un nouveau genre
Car j'ai envie de toi

Et maintenant je m'assois ici je suis toute seule
Ici se tient une sanglante confusion, les larmes regagnent la maison
Un cercle d'anges, profondément dans la guerre
Car j'ai envie de toi»

Deux yeux bleus qui fixent pendant ce temps une certaine personne… La musique qui emplit la salle dans un silence presque religieux. Pour les yeux se ferment tandis que les doigts fins jouent sur les cordes…

« Aussi faible que je suis, pas de larmes pour toi
Aussi faible que je suis, pas de larmes pour toi
Aussi profonde que je suis, je ne suis pas stupide
Aussi faible que je suis

Que suis-je maintenant à part la dernier demeure de l'amour
Je suis tout les mots doux que j'ai jamais possédés
Si j'avais ouvert mon cœur, il n'y aurait pas eu de place libre
Car j'ai envie de toi

Dans cette âme souillée
Dans ce jeune cœur faible
Suis-je trop pour toi »

…

La jeune femme souriait….Et sa réponse me fit sourire….Pas de piano, j’aurai du y penser rien qu’en observant la scène… Pas le genre de truc qu’on doit souvent demander ici…Je faiblis, mon esprit,’est pas bon à grand-chose ses derniers temps…

Elle se lève allant chercher sa guitare….Sans doute a-t-elle trouvé moyen de satisfaire son public tout en chantant quelque chose qui me rappellera un bonheur oublié….

La voici sur la scène, discutant avec le groupe, alors que je remplis à nouveau mon verre vide de ce délicat liquide ambré qui réchauffe le cœur et l’âme. Un discours… Voila qu’elle présente la chanson, sourire aux lèvres. Sa bonne humeur est tel un rayon de soleil en ce lieu gris comme tant d’autres en ce quartier.

Et la chanson commence…La musique emplit tout mon être, s’insinuant malicieusement en mon esprit torturé…Et les paroles…Tristes…En harmonie avec mon état d’esprit actuel, m’emmenant vers les sentiers sinueux de mon chagrin, comme si il fallait que je cesse de fuir, de me réfugier dans une déprime qui détruisait mes derniers moments de vie en cette terre.

Et Elle était là…Bercé par cette musique, je la voyais en mon esprit malade me fixant de son regard gris….Qu’aurait elle penser de moi à ce moment, elle qui m’avait aidé à tenir, à me battre… Et ma fille ? Et mes amis comme Caly ? Avais je donc le droit égoïste de me complaire en ce sort en me vautrant ainsi dans la fange de mon désespoir ?

Redresse toi, bat toi….Tu n’as pas le droit…. Elle est envie et tu le sais, ça devrait déjà être un plus… Y a eu ce coup de fil pour te l’assurer et qui sait ? Le facétieux destin a peut être prévu que nos chemins se recroisent…Un jour…D’ailleurs, il faudrait que j’active mes contacts en l’Armansva, ça servirait sans doute…

Recontacter Caly, ça aussi…. Je devais le faire, nous réconcilier et mettre au point quelque chose pour récupérer Laura grâce à son mystérieux contact… Oui il fallait que je fasse cela…Du boulot en perspective…

La chanson m’avait remis les idées en place….Non pas que je sois moins triste, non, mais ça n’était pas en me lamentant que cela allait changé… Il fallait me battre, surmonter l’obstacle pour qu’une fois l’objectif final, ma mort, atteint, les gens ne racontent pas que toute ma vie ne fut qu’un gâchis…

Mon regard se tourne vers la chanteuse qui finit sa prestation, mes yeux brillant…Merci, merci à toi, petite artiste inconnue, d’avoir fait pour moi, plus que beaucoup…D’avoir trouver par la beauté de ta chanson la faille qui me fait reprendre espoir…

Et la chanson prit fin…

Quelques applaudissements. Pas plus que d'habitude, pas moins non plus. Chase s’inclina avec élégance et exagération. Ses cheveux cachèrent un instant son mignon visage souriant et amusé, fines mèches blondes qui revinrent bientôt caresser ses joues rougies par l’effort et la chaleur du lieu. Elle posa le micro, se retourna pour remercier ses accompagnant bassiste et batteur d’un bisou sur la joue et sauta en bas de la scène avec agilité.

C’est alors que son regard croisa celui de Wesley. Elle lui adressa un de ses plus grands sourires suivi d’un signe de tête en direction du comptoir. Elle devait retourner gagner sa misérable vie. Et ne pas s’attacher aux clients non plus. Les gens qui passaient ici avaient leurs vies, et elle avait la sienne. De temps en temps, lorsque l’un lui semblait intéressant, elle notait son nom, son visage, dans un petit carnet. Et passait leur faire coucou dans leurs rêves. Mais elle évitait en général de trop les déranger, de noter trop de noms ou encore de risquer sa vie pour quelques minutes de chaos incompréhensible.

Elle passa derrière le bar, et posa sa guitare. L’instrument noir et métallique semblait dur à côté de la douceur de la chanson qu’elle avait interprétée quelques minutes plus tôt. Mais ce n’était plus la musique qui l’attendait. Déjà un autre groupe était prêt à passer sur scène. Elle jeta un coup d’œil au chanteur. Dix-neuf ans, cheveux noirs, soixante-dix kilos ( je parle comme en France héhé ), mignon… Puis elle reposa le dit regard sur la pile de verres sales qui l’attendaient. Sourire amer et reprise du boulot tandis qu’une nouvelle chanson, plus dure, plus rock, reprenait le dessus sur la salle.

Il passait toujours après elle… Chaque soir, et elle ignorait pourquoi. Wolvy disait que c’était par habitude. Et elle se disait, au final, qu’il avait raison. Elle servit une tournée de tequila, une tournée de vodka, de whisky… La musique passa, repassa, les clients aussi, tout comme le temps.

Presque trois heures du matin… Heure de fermeture officielle et obligatoire de tous les bars, lorsqu’ils respectaient la loi. Et le Parabellum respectait la loi. La scène était vide, la salle aussi, de moitié par rapport à l’heure de pointe, et les derniers clients finissaient leurs derniers verres. Chase passait le chiffon sur les tables libres, essayant en vain d’en retirer la crasse. Elle soupira et essuya la sueur qui perlait sur son front. Il faisait chaud et elle commençait à être bien fatiguée…

Elle remarqua alors que Wesley était toujours là. Elle alla reposer le chiffon sur le comptoir avec un soupir et s’approcha de l’homme, notant au passage de ne plus l’appeler « le ténébreux ».

« Ah, vous semblez aimer le whisky ! » Sourire sourire, la demoiselle posa de nouveau ses fesses sur la table, s’appuyant sur ses mains et concentrant son attention sur lui.

« La chanson vous a plu ? Rien à voir avec celle que vous m’avez demandée, pardon, mais je n’écris pas vraiment de berceuse en général… Nous fermons dans une demi-heure, je vous ressers un verre ou autre ? »

Le temps…..Chose étrange que cette notion, mathématiquement quantifiée mais si difficile à évaluer…Prenez mon exemple…Ce soir….Les heures défilaient à une vitesse folle, sans que je m’en rende compte, la bouteille que j’avais commandé se vidant peu à peu, une douce chaleur m’emplissant.

Et bizarrement c’est là, en ce lieu empli de fumées, de bruit et de vapeurs d’alcool,que j’arrivais à faire le vide en moi, à remettre en ordre mon esprit dérangé….Le scandale de l’Halucian suivant de peu celui des vaccinations, c’était Messia qui était sur la pente rude…Et même si elle ne me l’avait jamais dit franchement, à travers Haven, c’était l’Apo la cible…

Ainsi l’âme, après toutes ses années à observer, dévoilait son jeu et se lançait à l’attaque….Et tout se passait à merveilles… Même le taré qui tuait les gens au couteau servait les intérêts de l’organisation, lui permettant de faire venir sur Galisco ce que dans la police, on appelait pudiquement, les « forces de régulations et d’élimination »…Ce genre de forces dont notre cher gouvernement mondial se servait en Afrique pour pacifier les rebellions…. Inutile de dire que l’Armansva risquait bientôt le couvre-feu…

De spéculations en déductions, j’arrivais ainsi à oublier le regard gris qui emplissait toujours mon cœur….Un geste vers la bouteille, le liquide qui doucement s’écoule dans le verre jusqu’à la dernière goutte avant que je le boive….

La salle s’est vidé, je fais sans doute partie des derniers clients…..Trois heures du mat déjà….Mais je ne suis pas pressé, contrairement à d’autres je n’ai personne qui m’attend chez moi…. Puis je la vois, la jeune fille de tout à l’heure, se dirigeant vers moi, sourire aux lèvres, avant de se rasseoir sur la table et de me parler.

Oui il se trouve que j’ai des racines irlandaises et mon vieux disait souvent que cette boisson était notre sang et qu’au moins c’était bien plus fidèle qu’une femme. Ca explique mon amour pour la dive bouteille….

Sourire que je lui rends à ses mots, reposant sur la table de plastique imitation bois le verre vide…

J’ai cru remarquer oui que ce que je vous avais demandé n’était pas le genre de la maison….

Clin d’œil complice avant de continuer.

Mais c’était très bien…. Ca m’a….Permi de recentrer certaines choses, de penser différemment…..Je n’en attendais pas plus et pour cela vous avez mon merci ainsi que…

Ouverture du porte feuille…. L’avantage de savoir que l’on va mourir, c’est qu’on a plus besoin de se limiter sur les dépenses comme les pourboires. Je pose un billet qui doit représenter plus que ce que la jeune femme à reçu en pourboire ce soir.

Ca c’est pour vous….Si vous voulez me faire plaisir, vous le prenez pour vous et vous allez nous servir deux verres… Je veux bien en boire un dernier mais uniquement si vous m’accompagnez….

A nouveau un clin d’œil.

Et si votre boss vous pose des questions, dite lui que vous soignez vos relations avec la police.

Un regard sombre perdu dans des pensées obscures… Qui était cet homme ? Ce n’était réellement pas le genre « d’oiseau » qui se posait en général ici. Des rockeurs, des punks, des grunges, des imbéciles, des alcoolos, des drogués, des gens en simple manque de bonne musique, ça, c’était ce que je voyais tous les jours, à toutes les heures. Je ne voyais que très rarement des policiers en simple état de conscience et réclamant du whisky et de la musique douce.

Je ne suis pas pressée de rentrer chez moi, et pourtant mon corps seul sait que j’ai besoin de repos et de calme. Mes oreilles bourdonnent légèrement maintenant que la salle est redevenue silencieuse. Il n’y a plus qu’un léger fond sonore émit par une radio dans le fond de la scène, enregistrement de certaines chanson d’un groupe quelconque que j’appréciais et que Wolvy appréciait lui aussi. C’était le même groupe qui accompagnait depuis deux ans mes fins de soirées. C’était comme un gong qui sonne la fin du travail en salle, le début du nettoyage et du rangement pour finir par aller se coucher.

De toute façon, même si je rentrais et que je m’endormais, je ne dormirais sans doute pas. Sans doute qu’en rentrant je trouverai une saloperie de fiche sous ma porte… A rajouter à toutes les autres. Si je ne leur donnais pas de résultat dans la semaine, je les verrais sans doute débarquer chez moi… J’ai un frisson glacial qui me parcoure la colonne vertébrale rien qu’à cette idée alors que je sers un dernier verre de whisky pour Wesley et une tequila pour moi. Et par dessus le comptoir, je lui jette un coup d’œil… « Dites-lui que vous soignez vos relations avec la police » avait-il dit ? Est-ce que cela cachait quelque chose ? Est-ce qu’il était envoyé par l’Âme pour me surveiller d’encore plus prêt ? Je serais les dents. J’en avais assez ! Je ne leur avais rien demandé, moi. Je les laissais tranquilles s’ils le voulaient, tandis qu’ils me laissaient tranquille de mon côté ! Mais non, une partie du marché ne semblait pas être intelligible pour ces gens…

Mais si Wesley avait été envoyé pour moi, il avait une manière beaucoup plus douce et calme de m’adresser la parole que les agents précédents.

« Qu’est-ce que tu fais ?… » Me demande vaguement Wolvy en fixant les deux verres que je m’apprête à porter à la table du fond.

« Il veut boire un verre avec moi… » Répondis-je simplement.

« Chase, pas avec les clients ! » Qu’il marmonne, rajoutant mécaniquement : « Et il est bien plus vieux que toi… »

« C’est un flic, Wolv’… » Que je grogne presque, vexée qu’il me croie aussi stupide pour me jeter dans les bras d’un client inconnu et d’une dizaine d’année plus vieux que moi… Sans vouloir vexer le monsieur en question, bien entendu.

Je repars tranquillement vers la table. Depuis combien de temps n’avais-je pas eu d’aventure avec un homme ?… Si vous vous posez la question, sachez que je suis toujours vierge.
Si si !
Enfin, je ne sais pas trop.
Physiquement, je le suis.

Je pose mes fesses sur la chaise en face du flic. Je n’aime pas les flics en général, mais celui-là m’a l’air gentil… Et je pose le verre en face de lui. Quoi que un flic alcoolique peut-il être gentil ?…

« Je suis heureuse que cette chanson vous ai permis de revenir sur terre, Wesley… Ou devrais-je dire Lieutenant Martigan ? » Sourire un peu gêné, je l’avoue… Je lis le journal ! De temps en temps, quand j’en trouve un le matin abandonné dans la rue. « Mais dites-moi, sans vouloir être indiscrète, que fait un policier au service de notre cheeer Gouvernement dans un bar miteux de l’Armansva ? Vous n’êtes pas le genre de client que l’on voit habituellement par ici… »

Je n’ai pas réussi à cacher l’amertume que je ressentais pour l’Âme dans ma voix, mais peu importe. Ici, la plupart des gens refuse l’allégeance à ce groupe politique au pouvoir depuis trop longtemps. Que je le montre ou pas, cela ne change pas grand chose…

Je saisis le verre dans ma main et en boit une gorgée. Ma première lampée d’alcool de la soirée… Dieu que ça fait du bien ! Je peux enfin me le permettre à cette heure-ci, mon service se termine bientôt et c’est Wesley qui a payé mon verre…

« Si je peux vous donner un conseil… Ne dites pas trop vite que vous êtes policier, cela… est une espèce d’homme aussi peu appréciée que l’Âme dans l’Armansva… »

Fin sourire mi-désolé, mi-sincère qui orne mes lèvres tandis que je repose le verre et l’observe calmement, plus curieuse que prudente finalement.

Un instant je fermais les yeux….Un instant je m’évadais à nouveau vers d’autres cieux….Oh, physiquement j’étais là assis, mais mon esprit embrumé par le whisky vaguait ailleurs, vers les tréfonds de mon esprit à garder et idéaliser des images de…De bonheur oui, d’un bonheur lointain…. Mais n’avais je pas tout simplement idéalisé tout cela ?

Battement de paupières… Retour à la réalité, un bar qui fait figure de quatre étoiles par rapport au quartier… Le peuple qui commence à partir... et la minette qui discute avec son patron…Minette ? Bha, il faut dire qu’à mes yeux de baroudeur, la jeunette ajoute une touche de fraîcheur à ce bar….Elle doit avoir quoi ? 18 ans… 20 grand maximum dans cette ville où corps et âmes vieillissent prématurément….

Et moi qu’étais je à 18 ans ? Un grand garçon au regard niais, revêtant pour la première fois un uniforme, un adolescent persuadé qu’il allait changer le monde, sauver sa princesse et vaincre le mal en chevauchant un blanc destrier, le tout sous un splendide soleil couchant.
Mais aujourd’hui, le blanc chevalier a son armure cabossée, ses muscles fatigués, son épée ébréchée…La princesse est partie vers d’autres cieux et lui n’attend plus que la fin, l’oubli, vestige du passé qu’il est.

Et voila…La minette revient posant un verre devant moi… Oui je bois et j’aime ça, et puis de toute façon je ne risque rien, la cirrhose ne m’aura jamais…

Et bien Miss… Je préfère Wesley… Lieutenant Martigan, c’est pratique pour se la péter devant la haute société mais ici…

Un sourire, une nouvelle gorgée de boisson ambrée et délicieusement alcoolisée et je reprenais.

Oh et bien….Ses temps ci, je traîne pas mal dans le coin… J’y ai…. Perdu quelqu’un si on puit dire… Quelqu’un qui comptait pour moi, même si…. Je ne suis pas sur d’avoir compter pour elle….Voila la réponse…. Et si je suis un serviteur de notre cheeer gouvernement, je n’en suis pas non plus un fervent admirateur…

J’avais prononcé ses mots sur le même ton qu’elle, afin de décoincer l’ambiance…Non je ne suis pas une enflure de la police politique, juste un flic normal essayant de faire son job…Et la demoiselle de boire une lampée de sa boisson avant de reprendre…

Quel endroit n’est pas dangereux à notre époque, Miss….. L’Armansva n’est pas pire que les salons feutrés des hauts quartiers où l’on décide du destin de milliers de gens sans aucune pitié….Et ici au moins…. J’ai des chances de me défendre…

Un écart de mon blouson pour montrer la crosse de Lolita, brillant un instant. Sous la lumière diffuse de l’endroit.

L’âme est un mouvement comme un autre…. Tous se battent pour un os à ronger, le pouvoir… Mais moi je m’en moque, quel que soit le gouvernement au pouvoir, l’organisation qui est derrière, je n’oublie pas que ce qui compte c’est ce serment, celui que j’ai porté un jour, de protéger la population…

Et de la regarder en face yeux dans les yeux.

Même si cela doit tout me coûter et finir par ma mort…. On est tous guidé par son destin quelque part…. Et vous qui êtes vous et que recherchez vous ici Miss ?

Plus vieux, plus grand, plus mûr… Qu’est-ce qui m’avait pris de m’adresser à lui comme si je parlais à l’un des clients habituels ? Non mais ! Il avait raison dans un sens, lorsqu’il parlait de soigner mes relations avec la police… Je ne pouvais vraiment pas m’imaginer cet homme comme… comme je le faisais.

Je bus ma tequila en le regardant et en l’écoutant. « Pompeux » était comment il qualifiait son titre. Mais c’était, et ce malgré toutes ses explications, ce qu’il était ! Un flic… Peut-être gentil, peut-être pas aussi pourri que les autres, peut-être que lui connaissait la définition des mots honneurs et devoirs, mais il n’en restait pas moins à la botte du Gouvernement…

Et il disait ne pas être là pour ça… Etait-ce le hasard qui l’avait poussé à ouvrir la porte du bar où je travaillais ? Peut-être, mais je ne pouvais en être sûre… La confiance… Je suis l’une des premières à dire que c’est précisément ce qu’il manque dans cette ville, dans ce quartier, mais je ne suis pas mieux lotie que les autres… Une fois que vous avez été élevée par la dureté du béton défoncé des bas-fonds… Vous faites difficilement confiance aux autres et ne comptez réellement que sur vous-même, allant presque jusqu’à fuir la société et les gens que vous ne connaissez pas… De ce côté-là, je dois dire que je m’en sors plutôt pas mal !...

Plutôt… Mais ce n’est peut-être pas vraiment une qualité que d’être sociable…

Il croit savoir ce que même moi je redoute ici… Il croit pouvoir comparer cela à la haute société… Je ne peux pas le remettre en question, à vrai dire. J’ignore tout des quartiers huppés. Un tort ? Je ne crois pas. Ah ! Croire… C’est bien beau, mais mieux vaut être certains avant de se lancer sur la pente raide d’une discussion qui risque d’être houleuse si je ne fais pas attention où je pose mes mots.

« Vous… »

En fait… Je préfère me taire…
Je décide cela alors qu’il fait apparaître la crosse d’une arme à feu de sous son manteau. Je déglutis. Je souris vaguement, bien mal à l’aise malgré moi. Mais si j’ai bien peur d’une chose, une chose qui hante les cauchemars de tous ceux par lesquels je passe lorsque je dors… C’est ma mort. Je ne veux pas mourir… Pas tout de suite.

Il est bien beau ton discours, Wesley-boy… Mais j’en ai un légèrement différent. Lorsque mes oreilles ouïssent ces mots « Peu importe le gouvernement mis en place », je grimace faiblement. Je renie ma propre appartenance à ce groupe politique… Oui... Mais c’est simplement parce que je n’ai pas eu le choix que je fais partie des rangs de l’Âme… Après, celui qui viendra me dire que nous sommes en démocratie se prendra une guitare dans la figure…

Je soutiens fermement le regard qu’il plonge en mes yeux bleus. Ah non ! On ne me fera pas avaler ces conneries ! Le flic qui défend la population est mort. Maintenant, c’est le flic qui bosse pour le pognon, qui cire les bottes de la tête pensante qui trône au sommet de toute cette merde qu’est devenue Gallisco… Moi, j’aimerai ne plus avoir de chaînes et pouvoir clamer haut et fort que je déteste ce monde et les gens qui le gouvernent… Mais je ne peux pas, surtout pas face à l’un de leurs représentants trop niais pour comprendre tout ce qui peut se cacher dans les poches des agents de l’Âme…

« Excusez-moi de l’impolitesse ! Mon nom est Chase Cort. Voilà qui je suis … Une simple orpheline des bas-fonds, une fille comme les autres qui tente de vivre en paix dans notre enfer quotidien. Je suis serveuse au Parabellum, chanteuse et guitariste à mes heures perdues. Et je ne recherche… »

Qu’un petit peu de liberté ?...
D’amour ?...
De tendresse ?...
D’argent ?...
De temps ?...
Que recherchais-je en vérité, ici bas ?

« Un but à toute cette mascarade… » Que je murmure faiblement, plus pour moi-même que pour ce cher Lieutenant Martigan. « Mais, dans un sens, c’est un peu ce que nous recherchons tous… Comme la réponse à cette interrogation stupide qui est parue dans le journal il n’y a pas longtemps… Qu’est-ce que ça fait de passer réellement à deux doigts de la mort ? Hm ? Ici, on peut avoir toute sorte de montée d’adrénaline : physique, mentale, chimique… Toute sorte de sensation… Mais à en voir la mentalité des gens, aucun ne se rend vraiment compte qu’il vit dans un monde mortel… Ils viennent ici, ils passent leur soirée à boire, ne se doutant pas que c’est peut-être leur dernière soirée. Hier encore, nous avons perdu un client au coin de la rue, à cent mètres de la porte. La drogue, l’alcool… Voilà ce qu’on cherche désormais pour faire face à la réalité… La mort fait partie de la vie, mais elle arrive parfois bien trop tôt, ou tombe sur les mauvaises personnes… »

Et je finis ma tequila d’un trait. Non, un verre ne suffira pas pour me faire oublier la réalité.

« Il faut vivre… ou plutôt tenter de survivre… Mais nous ne luttons plus contre la nature et ses surprises. Nous luttons contre notre propre espèce et contre la brutalité des autres. « L’homme est un loup pour l’homme »… On a oublié qui a dit cette phrase il y a longtemps, mais elle est toujours d’actualité. Lieutenant, vous dites protégez la population… Mais lorsqu’elle est prisonnière de ceux à qui vous obéissez, pensez-vous vraiment qu’elle puisse vous en être reconnaissante ? »

Mon dieu… Qu’avais-je dis ?... Je vais finir en taule ! … Ou pire encore… Dans une de ces cellules froides, dans un sous-sol… Avec des noms partout…

Chase….Pas banal comme prénom…Une jeune femme des bas fonds qui se sous estimait. Oh je n’ai pas à me plaindre, je suis né dans ce qu’on appelle la classe moyenne, mais je traîne mes guêtres depuis suffisamment longtemps dans le coin pour savoir le destin de la majorité des jeunes de ce quartier…

Regarde toi donc un peu Chase…. Tu ne ressembles pas à une droguée comme tant de jeunes de ton age, tu sembles réussir à surmonter les épreuves de cette vie…Bien plus que moi petite fille. Non tu n’as pas à rougir, quand tant d’autres gamines du quartier vendent leur corps sur le trottoir pour payer leur dose… Jusqu’au jour où un malade les tue ou que la drogue ou une Mst les emporte

Ainsi c’est ce qu’elle cherchait….Un but….Et je l’écoutais avec attention alors qu’elle vidait son verre…La petite se lâchait et moi je ne pouvais qu’approuver en silence avant de lui répondre :

Tout homme a un but un espoir ou un rêve… Quelque chose au fond de lui, qu’il ne connaît pas vraiment mais qui le pousse à lutter, à vivre et à se battre… Vous-même Chase…Si vous vivez c’est que quelque part, au fond de vous, vous avez un rêve, une de ses choses qui font que la vie compte pour vous… La mort….La mort n’est que l’aboutissement de tout cela, le point final de tout ceci….La vie est une guerre d’où on ne sait qu’on est vainqueur ou perdant le jour de son décès…

Haussement d’épaule alors qu’elle vide son verre…

Enfin c’est ma théorie… Celle d’un petit homme…Un petit lieutenant qui a tendance à dire des choses idiotes avec l’alcool….Et qui rêvait de devenir un jour quelqu’un de bien…Un grand homme comme on dit…

Et elle de continuer….Oh j’avoue ce qu’elle disait était loin d’être bête, même si avec beaucoup de mes congénères de tels dires ne pouvaient avoir qu’une issue : Un allé simple pour le cachot pour déviance politique, un crime de plus en plus à la mode ses derniers temps. Un geste de ma part pour faire signe qu’on lui remplisse son verre et à mon tour de lui répondre :

Je me suis souvent posé cette question…. Est-ce que le fait d’être policier dans un gouvernement…Peu démocratique n’était pas approuver les méthodes de ce même gouvernement….Mais voyez vous…. Le serment que j’ai porté lorsque j’ai touché ma plaque à l’époque lointaine où j’avais votre age comportait les mots : « protéger la population » et pas « obéir aveuglément à un gouvernement ».

A mon tour de vider mon verre, et de remplir mon verre…La bouteille avait méchamment mangé et je n’étais pas de toute première fraîcheur….Même plutôt cramé et je me laissais à mon tour à dire des choses dangereuses, entraîné que j’étais.

La Politique ce n’est pas mon truc…. Notre gouvernement n’est pas idéal, je suis d’accord avec toi là-dessus et je n’approuve pas beaucoup de choses, je comprends même les mécontents, et j’accepte le fait de recevoir des canettes sur la bagnole quand je passe… …Maintenant…Les criminels, les violeurs, les tueurs et autres ordures peuplent toujours les rues, loin des luttes politiques des uns et des autres… Et moi, je suis là, flic anonyme parmi tant d’autres à faire mon boulot de flic, à tenter d’arrêter ces types…. Oh, je sais ce que vous allez dire… que je suis connu…Mais quand je serais mort, combien se souviendront de moi ? Mais il y aura toujours un autre Wesley Martigan pour tenter de faire régner un peu de loi ici….Et croyez moi beaucoup de flics sont comme moi…. Oui l’homme est un loup pour l’homme, c’est pour cela qu’il y a des lois…Pour protéger les plus faibles….Enfin c’est comme ça que je vois les choses…

Je m’interromps….Mes paroles sont en train de m’échapper mais j’ai besoin de me confier….Alors pourquoi pas à cette fille sympathique… Et puis je n’ai rien à perdre si ce n’est la vie, et de toute façon, même cela est en sursis.

Le Gouvernement….Je l’ai déjà trahi….Enfin l’âme…. Pour une femme…. Une criminelle que j’ai aimée et que….Je serais mort pour elle… Et si un jour nos chemins se recroisaient, même si elle me méprisait je….Même si elle avait commis le double ou le triple de crimes, je…. Je trahirais jusqu’à mes convictions les plus profondes…Même après tout cela, je l’aime encore au fond de moi… Haven… Elle m’a fait comprendre que… Derrière tout criminel se cachait une personne… Ca n’excuse rien mais ça… aide à comprendre les choses….Je me pose des questions depuis, sur cette loi que je sers… Mais bientôt…

Claquement de mes doigts..

Bientôt j’aurai disparu dans les sables du temps, je m’allongerais pour mon dernier repos car tel est mon destin… Ne me regarde pas avec ses yeux Chase, je ne peux pas te dire comment je le sais sans que tu me prennes pour un fou, mais je vais mourir bientôt…

Un soupir et je continue après avoir fini la bouteille…Sacré descente ce soir…Mon corps se réchauffe doucement, mon esprit embrumé.

La réalité c’est que rien n’est tout blanc dans ce monde pourri…. Mais penses tu réellement que notre société se porterait mieux sans ? Ou on en aurait d’aussi corrompu…Ou ça serait l’anarchie et la loi du plus fort non ? La loi, n’est ce pas ce qui différencie l’homme de l’animal ? Et encore…. L’animal a des lois, ses lois propres dictées par l’instinct…Mais nous…Nous n’avons même pas ça… Sans lois nous sommes pires que des animaux….Allant jusqu’à tuer pour le plaisir et pas pour la nourriture… Alors entre deux maux, il faut choisir le moindre et c’est pour cela que je bosse pour ses salauds d’en haut….

L’alcool, c’est quelque chose que je connais bien. Et si je n’en ai pas l’air pour l’instant, j’ai moi aussi mes antécédents de droguée. Oh ! Mais jamais à l’excès, jamais assez pour en devenir dépendante. J’ai d’ailleurs arrêté lorsque j’ai fini par comprendre que je préférais avoir le ventre plein et des vêtements sur le dos plutôt que la tête dans les nuages des autres. Je souris vaguement, une fois mon verre engloutit, écoutant les répliques de mon correspondant à l’autre bout de la table. J’aurais dû être inquiète et prudente, mais je n’avais plus envie de m’en faire pour ça ce soir. Au diable ! Une seule soirée dans embrigadement politique, sans discussion où l’on ne pouvait rien laisser voir de ce que l’on pensait ! Je voulais la vérité ce soir.

Malgré tout, j’évitais certain sujet. Lorsqu’il entama celui des rêves, ce fut un sourire amer qui se plaqua malgré moi sur mes lèvres roses. Et une pensée qui s’insinuait en moi, humour noir quand tu nous tiens ! Pourtant, c’est sur un ton enjoué que je lui réponds, un brin mystérieux :

« Encore faut-il pouvoir rêver et avoir ses propres rêves ! »

Et je n’en dirais pas plus, parce que là, la conversation reprend, sans qu’il n’ait le temps d’enchaîner sur cette simple phrase, qui se perdra parmi les autres et finira par perdre même sa propre importance. Concentre-toi sur les autres mots, Wesley-boy… Mieux vaut pour toi… Et pour moi surtout…

J’avais fermé les yeux et soupirait légèrement, m’attendant à tout moment à entendre « Je vous arrête ! » Mais cette maudite phrase ne vint pas. Lorsque j’ouvris un œil, c’était pour voir mon verre à nouveau rempli et regarder les lèvres du môssieur bouger. Et là, j’arque un sourcil, ne comprenant plus trop. Il parait que lorsque l’on change les habitudes fortement encrées dans le quotidien d’une personne, elle en est complètement déboussolée… C’est p’tet pas faux cette connerie, après tout ?... Ah ! La tequila me perdra. Je prends le verre et continue de boire à petite gorgée, mes yeux posés sur Martigan.

Drôle de Lieutenant…
Je dirais même plus !... Drôle de Lieutenant…

Ce qu’il dit me touche. Peut-être parce que ça contraste trop avec la vision des policiers d’aujourd’hui. Ce type serait donc un héro coincé en Enfer et résolu à le changer en Paradis ?... Un peu fort comme comparaison, peut-être… Mais l’idée est là. Il s’interrompt un instant, et j’en profite pour glisser quelques mots entre deux de ses monologues de « petit lieutenant ivre », mes doigts traçant de petits dessins sans importance sur le plastique mouillé par endroit de la table un tout petit peu branlante sur laquelle nous nous appuyons tous les deux.

« Si tout le monde pouvait être aussi désintéressé que vous… »

Il parle, ou continue de parler… Et, inconsciemment, mon regard se pose sur la bouteille de whisky… Ou plutôt ce qu’il en reste. Et, en tant que serveuse d’un bar, je ne peux qu’en déduire une chose : Il est soûl. Et si j’ai tort, ce n’est pas tout à fait ma faute. Ses gestes sont lents et ses paroles… Si je me suis trouvée téméraire quelques secondes plus tôt, Martigan était maintenant suicidaire ! Venir s’épancher comme cela sur moi ! … Au fur et à mesure qu’il parlait, je sentais mes yeux s’ouvrir aussi grands que des billes. Taré ! Et si les agents de notre cher gouvernement me tombaient dessus et m’obligeaient à répondre à des questions sur toi, t’y a déjà pensé ??...
Et sur ta Valentine ?!
Haven ?... J’ai déjà vu ce nom… Ca sonne bien avec Valentine, n’emp… Ah mais bien sûr !!... Oh mon dieu !... Martigan et Valentine ?... Cette femme qu’on voit de temps en temps sur les magazines ? La riche là ? Enfin, qu’on voyait. Parce qu’il me semble qu’on la dit morte depuis cette descente de flic dans l’Armansva, même descente où le petit monsieur en face de moi s’est fait tiré dessus si mes souvenirs sont bons. Enfin, la plupart, c’est ce que j’ai entendu raconter ici même, alors c’est probable que la vérité ait été un peu déformée.

Son claquement de doigts me fait sursauter.
De quoi il parle ? Comment quelqu’un pourrait savoir s’il allait mourir demain ou dans deux ans ? C’était impossible ! Etait-il vraiment saoul ? Il semblait croire dur comme fer à ses mots et tandis qu’il se vidait de ses pensées sur moi, je ressentais de plus en plus ce malaise de la jeune fille pas concernée du tout qu’on essaye de faire entrer dans une histoire qui n’est pas la sienne. Je n’aime pas ça, je veux vivre ma petite vie à moi, moi. Je ne suis pas comme lui, je ne suis pas au service du citoyen. Je suis égoïste et je préfère vendre des secrets de personnes que je ne connais pas plutôt que de me faire enfermée ou tuée parce que l’Âme a peur que je découvre des secrets trop bien gardés…

Il a fini de parler, et moi je ne sais plus du tout quoi dire. Je n’ose pas lui relancer la balle de peur de le voir encore dire des choses inconsidérées. Dans mon petit cerveau de blonde, une grosse alarme rouge s’est allumée.

« Trop de loi tue la loi… Excusez-moi euh Wesley, mais il est tard et j’ai l’impression que vous avez bien assez bu pour ce soir… Car si j’ai bien compris tout ce que vous venez de me dire, j’ai aussi bien compris qu’il n’est pas bon de livrer autant de secrets à une inconnue telle que moi… »

Et sans plus de cérémonie, je me lève et je saisis la bouteille de whisky vide, termine mon verre d’un trait « Hop ! Dans le gosier ! » Et débarrasse la table comme je sais si bien le faire maintenant. Que voulez-vous ? C’est mon métier.

Wolvy finit de nettoyer les tables. C’est mon boulot, ça, normalement. Mais il me fait signe d’aller fermer la porte. Il est trois heures et c’est juste pour éviter que d’autres clients n’entrent et pour que les flics qui viendront bientôt faire leur ronde dans le quartier remarque bien que nous étions fermés à l’heure prévue. Même pour cinq minutes, ils étaient plutôt chiants, c’est hommes en uniformes…

Je pose les verres dans l’évier, la bouteille à la poubelle et c’est en m’essuyant les mains avec l’un de ces vieux chiffons sales que je m’en fais fermer la porte. Il reste encore trois clients : Wesley, et deux filles complètement ivres dans un coin que Wolvy essaye de faire bouger.

Ma main s’était posée sur le battant de bois pour le repousser vers l’extérieur lorsque je sentis une brusque résistance…Et je n’eus pas le temps de réagir, la porte réagissant plus que violemment contre mon envie de la refermer. Je me suis, un instant, crue dans un rêve, imaginant que la porte m’attaquait, mais ce n’était plus la porte que je voyais face à moi, dans la seconde suivante alors qu’une douleur se faisait sentir dans mon pauvre bras malmené, mais le torse d’un homme…

Qui m’attrapa avec une telle vivacité et avec une telle force que je n’eu pas la force de réagir, juste de pousser un cri étranglé en sentant la froideur du métal contre ma tempe…

…

Help…

Elle m’écoutait….Oui cette fille avait cette politesse rare, celle d’écouter les gens…Et moi je m’épanchais sur ma vie, laissant les mots filer leur chemin…Qu’avais à perdre de plus de toute façon en cette vie, si ce n’était celle-ci ?

Parfois il arrivait à la jeune femme en face de moi de parler, montrant qu’elle suivait… Oh le quart de ce que je lui avais dit m’aurai valu un réexamen psychologique de mon cas à la section psychologique de notre bien aimé police. Avais je tort, Je n’en savais rien, toujours est il que ça me faisait du bien… parler enfin, sans être juger et placarder…Et il fallait avouer que l’alcool n’aidait en rien. pour garder ma langue…

Bref….Arrive le moment de la fin de mon discours délirant…et la jeune femme de me rappeler à la réalité par une phrase bien senti….Oui il est plus que l’heure et j’ai déjà trop bu…Là voila qui se lève, et d’un geste dynamique de ramasser là table…

Ca tangue un peu je dois dire, et demain je dois m’attendre à un bordel de mal de crâne….Arrêter l’alcool… Le style de résolution que je prends au premier de l’an et que je ne respecte jamais….

La pièce se vide, alors qu’avant de repartir je fixe un point imaginaire dans la pièce, en respirant de façon régulière…C’est un exercice de concentration qu’un vieux flic m’a appris…Rien de transcendant, ça ne fera pas baisser mon taux d’alcoolémie, mais ça permet de récupérer ses esprits… Les asiatiques utilisaient ce genre de truc, il y a longtemps pour lutter contre les effets de l’opium… Enfin c’est ce que dit la légende….Je ne sais pas si c’est psychologique, toujours est il que sa marche…

Et voila, nous ne sommes plus que trois clients tandis que le barman essai désespérément de faire dégager deux pouffes beaucoup trop maquillés et à la date de fraîcheur passée…Bizarre, alors que je me prépare à me lever, je me dis que je n’ai pas envie de partir…Enfin pas sans dire au revoir à celle qui a su prêter l’oreille à mes délires…d’ailleurs…Aller Wes, reste un moment, histoire de lui donner un dernier billet pour la remercier…

Tient la voila…Pas le temps de l’interpeller qu’elle s’en va fermer la porte…J’attendrais son retour…Tandis que je sors un billet…

Et merde….Je savais bien que cette soirée avait été un peu trop calme pour un mec comme moi… devait bien y avoir un accroc quelque part…

Et là, l’accroc en question fait largement plus de deux mètres de haut et pas loin d’un de large…Crâne rasé avec un énorme tatouage de dragon, petits yeux porcins et vicieux et nez écrasé avec un anneau….Le genre de gars qui vous fait changer de trottoir lorsque vous le croisez quelque part…Et monsieur est vêtu d’un marcel noir et d’un pantalon de cuir, tenant à bout de bras un pistolet automatique de taille imposante le canon posé sur la tête de cette pauvre Chase qu'il tient fermement de l'autre bras.

Tout le monde à terre ou y a de la cervelle qui va péter….Toi la greluche, va m’chercher la caisse et revient avec….Si personne ne bouge y aura pas d’mal…La minette et moi on va sortir avec le pactole et elle va m’tnir compagnie le temps d’être sur qu’il y aura pas d’embrouilles….Et demain vous la récupérerez en un morceau…

Bon sang…Je ne peux pas dégainer et tirer sans risque pour Chase….Je m’allonge, jouant à l’alcoolique, et j’en profite pour dégainer Lolita, la dissimulant à son regard…Reste à attendre l’opportunité, le moment ou il sera distrait pour le descendre sans qu’il y ai d’autres victimes…

Mes yeux croisent alors ceux terrifiés de la gamine…J’essai de la rassurer d’un clignement d’œil, lui faisant comprendre que je ne la laisserais pas tomber…

Mais bon sang Chase, essai de le distraire quelques secondes…juste quelques secondes….

Le souffle court et le cœur qui bat si rapidement que mes artères risquent de lâcher… Il m’étrangle…
Cela s’est passé si vite… Mon esprit n’analyse pas encore la position dans laquelle je suis. Pourtant mes muscles, eux, ressentent les entraves et suintent déjà de la peur qui m’étreint. Oui, j’ai peur… Je suis en la possession d’une de ses raclures qui traînent le soir dans les rues. Pour survivre, ce genre de prédateur n’hésite pas à faire le plus de carnage qu’il peut pour récupérer un ou deux dollars et ensuite disparaître en laissant dans son sillage une traînée de sang. C’était déjà arrivé, un braquage, au Parabellum. Tous les bars avaient eu leur lot, un jour ou un autre. Mais c’étaient en général ce que l’on appelle des « vols éclairs ». Ils entraient, réclamaient l’argent, prenaient ce qu’on leur donnait, et s’en allaient plus vite que leurs ombres.

Mais l’homme au tatouage de dragon n’était pas là pour courir et encore moins pour prendre « ce qu’on lui donnerait ». Son ton était différent, sa méthode aussi. Je n’avais encore jamais senti cette sensation glacée qui découle de l’arme posée sur ma tempe pour venir ronger mes entrailles de l’intérieur…

Ironie du sort ? … Alors que nous parlions de la mort, voilà que la faucheuse s’en vient sonner à ma porte pour m’emmener dans son paradis gris ? Déjà ?...

Ironie du sort également… J’étais sensée être surveillée par l’Âme… Ah, si je me sentais épiée, j’aurais pu au moins me sentir un peu protégée… Mais non. Rien. Quedal ! A moins qu’ils estimaient la présence de Mr Martigan dans la pièce comme suffisante…

« Tout le monde à terre ou y a de la cervelle qui va péter….Toi la greluche, va m’chercher la caisse et revient avec….Si personne ne bouge y aura pas d’mal…La minette et moi on va sortir avec le pactole et elle va m’tnir compagnie le temps d’être sur qu’il y aura pas d’embrouilles….Et demain vous la récupérerez en un morceau… »

Mais le policier à moitié ivre était allongé sur le sol… Je me débattis soudainement contre mon agresseur. Deux trois mouvements de la nuque, en vain. J’ai des muscles en mousse… Cela ne fait que m’étrangler un peu plus. « Minette » ?... Cela m’enrageait et me terrorisait en même temps sur ce qui pourrait arriver si jamais Wolvy lui donnait l’argent et que l’homme m’emmenait avec lui. Je sentis mon visage perdre soudainement toute sensation, toute consistance… Et les personnes présentent me virent donc pâlir dangereusement.

Je croise le regard sombre de Martigan, allongé à plat sur le sol. Il a l’air ridicule comme ça sous la table. Mais alors que mes yeux rencontrent les siens, il m’adresse un clin d’œil qui se veut rassurant. Et je me rappelle alors que lui aussi a une arme. Et qu’il sait s’en servir…

Bien que je ne pense pas que le voyou qui me tient me ratera s’il me vise à une telle distance…

Alors l’homme grogne un moment, me faisant signe d’arrêter mon cirque avant de me relâcher pour me pousser vers le comptoir, son flingue toujours pointé dans ma direction tandis qu’il surveille la salle d’un œil mauvais… très mauvais… Je titube puis reprend mon équilibre. Regard qui croise celui de mon patron… Désolée pour lui… Mais il m’adresse un faible sourire bien pâle lui aussi, allongé sur le sol.

« Grouille-toi, poulette ! Tu veux que j’plombe un de ces types pour te faire comprendre qu’on n’a pas toute la nuit ? ! »

Non ! Non ! Cling ! Je fourre l’argent dans un sac et me revoilà aux côtés du malfrat, m’arrêtant à une certaine distance, lui tendant le butin à bout de bras. Je tremble, sans aucun contrôle sur mes muscles. Mais lui ne se contentera pas de prendre le sac. Aurais-je espéré ?... Il me saisit brutalement le poignet pour me ramener vers lui…

« Toi, tu viens avec moi, poupée. »

NON !!! Je ne veux pas !!

Je lâche le sac qui contient l’argent, une cinquantaine de fois plus que ce que je gagne moi en un seul soir… Et je recule, luttant contre sa poigne de fer. Il s’énerve, s’avançant vers moi, son arme à la main, il la lève vers moi tandis que je me débat toujours…

« Non ! Laissez-moi ! »

Je ferme les yeux alors qu’un coup de feu retentit dans la salle…

Et je n’ose les rouvrir…

Voila…..J’étais là….Face contre terre sur le sol sale du bar, comme les autres clients et le barman….L’homme, quoi que je devrais plutot dire la brute se dressait face à cette pauvre Chase…Je pouvais ressentir sa peur face à l’arme de l’individu….Et effectivement si tout se passait comme il le disait, il y avait peu de chance que cette malheureuse jeune fille en sorte indemne….

Le type….Parlons en….Je connaissais ce genre d’animal…. Un solitaire comme moi, vivant à la marge de la société, seul…. Sauf que lui, contrairement à moi s’était laissé aller à écouter ses instincts les plus vils…Tout était bon pour assouvir ses désirs et il prenait ce qu’il désirait par la force… Et manque de chance pour moi, ce gars savait ce qu’il faisait…Preuve en était sa vigilance à notre égard ne me laissant aucune possibilité d’intervention sans danger pour la jeune femme.

Chase….Celle-ci obéissait, abrutie par la peur…. T’inquiète pas petite fille, Marty te laissera pas tomber comme ça…. Tu ne mérites pas qu’on te retrouve un matin, nue, dans une poubelle, la gorge tranchée, le corps souillé…

Oui c’est bien….Donne lui l’argent….Aller Chase….Ma respiration se fait lente, je me prépare mentalement à ce qui va suivre….Je sais pertinemment que la moindre erreur signifierait un carnage sanglant dont la première victime serait cette jeune fille qui avait une si jolie voix…

Serais je donc condamné à jouer au chevalier blanc jusqu’à ma mort ? La dernière fois….C’était dans une ruelle du quartier, non loin d’ici…A sauver celle qui me dévorait le cœur…Mais aujourd’hui, ce n’est pas mon amour que j’essayais de sauver mais….Une sorte de petite sœur qui m’avait écouté…

Et merde….Chase….Elle refuse de le suivre…Et résiste, le repoussant….La brute se fâche et semble décider à faire un exemple….Pas le temps de réfléchir, pas le temps d’hésiter…

Réellement cette scène ne durera que quelques secondes…Et pourtant…Pour moi tout se passait comme au ralentit…Le flingue qui se tournait vers une Chase terrifiée fermant les yeux, le sourire sadique apparaissant sur la tête du type…. Et moi levant Lolita, tout en me redressant…

Un coup de feu….

Silence….Et le type s’écroule, une balle dans le crâne… J’ai été le plus rapide, heureusement pour sa future victime… Combien d’hommes ai-je tué ainsi ? Aucune idée, et le gars au crâne rasé n’est qu’un visage de plus à rajouter à la longue liste de mes victimes….Quelque part c’est ironique…. Je traque les tueurs et les pervers, mais dans l’absolu j’ai plus de sang sur les mains que n’importe lequel de ses salauds… Peut être que le sang que je répands ainsi n’est que la juste vengeance de malheureuses victimes… Tout ce que je sais c’est que si je ne ressens pas de remords à ce sujet, je ne prends pas non plus mon pied à répandre la mort…

Et voila…Je finis de me redresser, tout en brandissant mon badge pour rassurer la population présente…La police de Galisco est là, dormez en paix bonnes gens…. Je marche donc jusqu’à Chase terrifiée, recroquevillée sur elle-même, ses vêtements tachés par le sang du monstre…

Je m’agenouille alors doucement à coté d’elle, me demandant si c’était là la première fois qu’elle voyait un mort….Et je me mis à lui parler d’une voix douce, de cette voix dont Irina se moquait disant que cela faisait efféminée, de cette voix qui berçait ma fille, de cette voix qu’Haven disait qu’elle faisait ressortir mon humanité derrière le badge, l’entourant en un simple geste protecteur, sans arrières pensées de mes bras puissants… Comme j'aurai fait pour ma fille...

Là Chase….c’est fini….Vous êtes en vie….Et il est mort….

J’ai senti mes genoux me lâcher. Le coup de feu eut l’effet d’un déclic dans ma tête. Je ne ressentais aucune douleur, mais je fus aspergée de sang. Dur de faire la part des choses, dans les deux secondes qui suivirent le bruit de la chute de mon agresseur, sur le fait que ce ne fut pas moi qui ai été tuée. Mes petites fesses frappèrent douloureusement le sol, tandis que je portais les mains à mon visage, me recroquevillant en tentant en même temps de retrouver ma respiration.

Je ne bougeais plus, me demandant ce qui allait se passer maintenant. Mon cœur battait à une vitesse horriblement rapide. Et tout ce que je me souviens ensuite, c’est de deux bras m’entourant chaleureusement, dans le seul but de me réconforter d’une présence… amie ? Du moins protectrice et présente. Wesley Martigan venait de me sauver la vie…

Là Chase….c’est fini….Vous êtes en vie….Et il est mort….

J’étais sous le choc. Je n’osais ouvrir les yeux. Je savais ce que j’allais voir si je le faisais. Alors je ne le fis pas. Je me blottit un peu plus contre l’étrange client et laissait mes larmes couler, silencieuses mais qui secouaient pourtant mon corps de sanglots nerveux et incontrôlables. J’entendis vaguement la voix de Wolvy jurer dans sa langue natale avant de courir appeler la police. Je l’entendis également demander si j’allais bien, si je n’avais rien mais la place autour de moi était momentanément prise par Wesley.

« Merci »

Que je murmurais alors vaguement, n’ayant au moins pas perdu le sens du respect des gens avec le choc. J’ouvris enfin les yeux. Je n’étais pas morte. Ce n’était pas moi qui avait reçu la balle. Et le sang qui maculait mes joues et mes vêtements était celui du désormais cadavre… dont je ne vis que les deux bottes crasses inertes avant de détourner le regard.

Je croisais alors celui de mon patron, qui sembla alors enfin un peu plus rassuré de me voir en vie et qui ramassa ensuite seulement consciencieusement l’argent.

« Pardon »

Et ce fut mon dernier mot de l’heure qui suivit. Avec la lenteur du chat trop prudent de ses mouvements, j’allais me poser sur la chaise que j’occupais face à Wesley quelques minutes ( seulement… ) plus tôt et ne bougeais plus. Même lorsque la musique des gyrophares de l’ambulance et de la voiture de police qui arrivèrent sur les lieux retentit avec force, je fixais résolument le mur. J’avais failli mourir…

Ma première envie était de rentrer chez moi. Mais la dernière fois que j’avais approchée la porte du bar, je me l’étais prise en pleine face, suivie d’un flingue collé à ma tempe. Le souvenir était encore trop vivace pour que je retente l’expérience. Avec le temps, je me rendrais compte de la stupidité de cette peur… J’étais vivante et indemne, je devais m’en estimer heureuse… Et pourtant, lorsque l’un des policiers vint pour me poser des questions, je relevais mon regard bleuté encore plein de ces larmes que je ne retenais plus. Son regard se posa sur mes joues rougies du sang qui n’était pas le mien et je restais silencieuse malgré ses mots réconfortants et m’incitant à faire une déposition.

Plus tard, essayais-je de lui faire comprendre…
Et il finit par se lasser…

Et il était prêt de 4h30 du matin lorsque l’ambulance partit avec le corps et que les policiers plièrent bagages après avoir interrogé tous les témoins ( me rappelant au passage de passer le plus vite possible au commissariat le plus proche ).

A l’autre bout de la salle, mon patron s’approcha du lieutenant Martigan.

« Je vous remercie pour tout ce que vous avez fait lieutenant, n’hésitez pas à repasser surtout, je vous offre une tournée à vie de notre meilleur alcool… Mais, pourrais-je vous demander un dernier service ? » Il me désignera d’un regard équivoque. « Elle habite sur les quais. Et je vais devoir nettoyer tout ce bazar toute la nuit… Cela ne vous dérangerait pas de la raccompagner chez elle ? »

Choquée….Oui si il y a un mot qui pouvait qualifier ce que vivait la jeune femme, c’était bien celui-là. En même temps…. Comment lui en vouloir ? Même dans l’Armansva, ce genre de scène était rare et le fait de se retrouver avec un cadavre à son coté alors qu’on vient de frôler soi même la mort n’a rien de spécialement réjouissant.

Lentement, la jeune femme se levait, un peu avec mon aide, alors que du lointain provenait la douce musique des gyrophares de mes collègues.. Un peu tard comme toujours… La demoiselle, elle, s’asseyait, essayant de reprendre ses esprits. Elle restait là, fixant le mur, se osant sans doute mille et mille questions.

J’ai souvent frôlé la mort… C’est une sensation à laquelle jamais on ne s’habitue complètement, même si dans le temps, on finit toujours par relativiser cela…Surtout dans le cas où l’on rêve fréquemment de sa mort….. Il va lui falloir du temps, celui d’assimiler tout ça…

C’est ainsi que moins d’une heure plus tard, la pièce s’est mise à grouiller d’hommes en uniforme. Je n’ai pas de soucis, le type était sans doute un camé qui n’en était pas à son coup d’essai et l’affaire allait être vite classée…

C’est le lieutenant Cortez qui se charge de l’affaire….Un homme d’une quarantaine d’année, expérimenté, qui s’occupe du quartier, bedonant avec un cigare dans la bouche…L’image parfaite du bon flic père de famille, à la fois humain et honnête…Loin d’être un ami à moi, mais professionnellement, l’un et l’autre ne nous tirons pas dans les pattes….Bref, il est là, au milieu de la pièce à diriger les uns et les autres, professionnel…

Lorsque nos regards se croisent, il soupirera un instant…

Un de plus Martigan….Ses temps ci ça n’arrête pas…..Des drogués en manque de sensations pour la plupart…. Le coup de la fabrique de l’halucian s’était bien joué mais ça a rendu un tas de types en manque de came….Et de sensations…. Du coup, les dealers qui en ont encore ont fait explosé les prix et les agressions sont en hausse… sans compter ceux qui essayent de retrouver ce genre de sensations par eux même…. Inutile de dire que la demoiselle aurait préféré mourir que tomber dans les mains de ce malade si elle avait su ce qu’il allait lui faire…

Son regard alors se portera sur la jeune femme, compatissant… Cortez est un type bien, malgré ce qui nous sépare…

4H30 du matin…Fin de l’enquête, le macchabée est aller remplir les frigos de la morgue et les gens rentrent chez eux...Nuit de patrouille ordinaire pour eux dans ce quartier vendu à l'enfer.... Je m’apprête aussi à partir, songeant à la montagne de paperasse qui m’attendra demain pour expliquer cette nouvelle mort à mon actif….

Et le patron de m’interpeller…. Ses remerciements me vont droit au cœur et je me vois mal refuser le service qu’il me demande….

Je m’approche donc à pas lents de la jeune femme encore prostrée, toussant doucement pour m’annoncer.

Miss Chase ? Je vais te ramener chez toi…Tu pourras essayer de te détendre un peu….Et parler, si tu veux en parler….Ma voiture est dehors… Aller vener, il ne sert à rien de rester ici à ressasser ce genre d’idées…Et croyez moi je suis bien placé pour en parler…

L’action m’a fait dessouler et c’est d’une voix douce que je m’adresse à elle, posant ma main sur la sienne en un geste d’apaisement visant à la rassurer….