Chase's Warehouse

En fait, quand j’y repense, j’étais passée plusieurs fois tout près de la faucheuse. Mais j’étais trop jeune et je ne suis pas passée assez près que pour m’en souvenir exactement. Je me souviens juste d’avoir passé ma vie à chercher à survivre dans ce monde de pourris… Et j’ai survécu, jusqu’à présent… Je devais m’estimer heureuse… même si j’ai trahis toutes mes convictions et qu’aujourd’hui je travaille pour ceux que je déteste le plus sur cette terre, vous pensez ?...

Je ne sais plus. Ce soir je ne savais plus rien. Je n’avais envie que d’une chose… Rentrer chez moi, m’enfoncer un gramme de coke dans le cerveau et divaguer jusqu’à demain, jusqu’à la reprise du boulot pour tout oublier… Ouais… Le seul problème dans toute cette histoire, c’est que je n’avais plus aucun grain de came chez moi. Et si je pouvais en trouver facilement dehors, je n’avais pas le courage d’y remettre un pied toute seule.

Les flics se sont barrés. Tant mieux. Enfin un silence relatif. Enfin, si Wolvy croit que je ne l’entends pas… Je suis sous le choc peut-être mais pas sourde. J’étais en train de me demander si je n’allais pas m’allumer une cigarette pour la peine lorsque j’entendis quelqu’un s’approcher dans mon dos. Instinctivement, je me tendis. Mais ensuite je sentis la main douce de mon sauveur de la nuit se poser sur la mienne, et sa voix calme murmurer à mon oreille. Il avait encore quelques odeurs d’alcool sur lui, mais il avait déjà bien plus dessoûlé que moi… Jalouse ? Oh non…

« D’accord… Merci… »

Lentement, je me lève. Je vais vers le bar et je récupère mon sac, ma veste et ma guitare. La veste en cuir fin et vieilli, je la passe sur mes épaules. Par-dessous la guitare et le sac. Et je commence à suivre Wesley-boy, administrant au passage un affectueux bisou sur la joue de mon cher patron. La câlin sera pour une prochaine fois : j’ai les bras un peu encombrés.

La voiture… Quelle merveilleuse idée ! Mes jambes ne m’auraient jamais supporté jusque chez moi. Je me demande s’il va remarquer mon manque flagrant de sommeil avant d’arriver au port… Peut importe, en fait. Je pose la gratte et le sac sur le siège arrière et m’installe tranquillement à l’avant, attachant minutieusement la ceinture de sécurité.

Puis me vient une pensée étrange… Depuis combien de temps n’étais-je plus montée dans l’un de ces engins ?

Avec un sourire étrange mais, dans le fond, amusé, un peu amer aussi… Je commence à parler, alors qu’il s’installe au volant et démarre le moteur. Faut que je parle, oui, que je pense à autre chose.

« Vous savez… Cela doit bien faire cinq ans que je ne suis plus montée dans une voiture… Ca devait être la dernière fois que ma tante m’a déposée devant l’école… Mais je n’allais plus à l’école déjà. Je sais… Vous allez me dire que j’aurais dû profiter de cette chance que d’avoir une éducation et perdurer dans mes études au lieu d’aller traîner dans les rues et les quartiers malfamés. En fait, je crois qu’au début je ne faisais ça que pour la faire chier, vous savez… ma « tante ». Et puis c’est devenu comme une drogue. Je ne supportais plus l’école, ni cette femme. Alors j’ai fugué, j’ai appris à jouer de la musique, je me suis trouvé un rêve irréalisable et je tente de survivre aujourd’hui… Tournez à droite et puis prochaine rue à gauche… »

Je ne le regardais pas, fixant la route. Le port… Les entrepôts… Drôle de quartier pour vivre, mais au moins, c’était tranquille. Car mon « appartement » à moi se trouvait un peu plus loin, le long des anciennes jetées, abandonnées depuis longtemps.

« Le truc, c’est que sans vous, Wesley, je n’aurais pas survécu aujourd’hui… Sans doute… Et de ce fait, vous avez non seulement obéi à vos principes et à votre serment, mais également, que vous en ayez conscience ou non, à notre gouvernement détesté… N’allez pas si vite, on y est bientôt… C’est là bas… »

Et me voilà à lui montrer une vieille porte en fer plongée dans l’ombre d’un bâtiment qui, de l’extérieur, fait plutôt peur à voir…

Nous y étions… Chez moi. Et étrangement, je n’avais pas cette même impression de satisfaction des autres soirs. Pourquoi n’étais-je pas heureuse de rentrer à la maison ? Peut-être parce que j’avais, pour l’instant, un grand besoin de compagnie et que j’allais maintenant devoir laisser le Lieutenant Martigan à sa vie à lui, pour reprendre la mienne.

Je ne suis qu’une gamine qui n’a jamais eu de père. Ce serait le comble que je me trouve une sorte de paternel ce soir en cet homme que je connaissais à peine mais qui m’avait sauvé la vie. Il parait que j’ai un problème affectif dans ma tête. C’est ce que m’a dit un jour, il y a 6 ans, le psy de l’école. Mais bon… En six ans, il peut se passer des choses dans la tête d’une personne qui apprend le monde comme je l’ai fait… bref… Il faut que je sorte de cette voiture.

C’est un sourire forcé qui flotte sur mes lèvres alors que je le regarde, écoutant ses dernières paroles pour ce soir. Sans doute… Mais la réalité, il ne l’a pas soulevée. Alors tant mieux. Je n’étais pas prête, ce soir, à dévoiler ce qui m’enserre les entrailles à coup de chaînes barbelées depuis deux ans… Deux ans de solitude forcée… J’ai toujours gardé une barrière entre moi et les autres depuis la disparition de Kyle et mon enlèvement par les forces spéciales du gouvernement… Ca fait pompeux à penser ça… Comme si j’avais une quelconque importance, en définitive…

Je ne suis rien… Rien qu’une pauvre fille, pauvre conne… Lentement, j’ouvre la porte, me retournant vers Wesley pour le remercier encore une fois de m’avoir ramenée et de m’avoir sauvé la vie…

Mais l’homme semble tout à fait être ailleurs…

Je croise son regard vide, regard qui me rempli soudainement d’un effroi que je ne comprends pas tout de suite. Il semble soudainement perdu, effrayé et … triste… Il se retrouve bientôt prostré sur son volant, accablé en apparence par tous les maux que la terre puisse portée. Sans que je ne me rende compte, j’ai de nouveau perdu toute contenance, ne sachant que faire dans pareille situation. Hésitante, je pose ma main tremblante sur son épaule, essayant de le ramener à la réalité.

« Lieutenant ? Wesley ? Qu’est-ce qui vous arrive ?! »

Il clignera des yeux plusieurs fois, pendant les quelques secondes qui séparent ma question de sa réponse, mais c’est avec un certain soulagement et un très grand scepticisme que je l’écoute. Un malaise ? Il me prend pour une cruche ou quoi ? Je secoue vaguement la tête, essayant de remettre mes pensées dans un ordre de priorité correcte.

« Vous ressemblez à l’un de ces dépendants à l’héroïne après un bad trip… Ne restez pas là, venez, j’vais vous faire un café… ou un thé… C’que vous voulez… »

Et comme pour appuyer ma demande qu’il vienne avec moi pour se requinquer avec de la caféine, je coupe le moteur de la voiture et lui prend les clés, calmement, sans mouvement brusque. Puis je sors, je l’attends, récupérant mes affaires à l’arrière et cherchant mes propres clés dans ma poche pour ouvrir la porte. Que j’ouvre finalement, entendant la seconde portière se refermer dans mon dos.

A l’intérieur, il fait noir, mais j’allume la lumière. Ce n’est pas très grand, en fait, malgré la taille du bâtiment vu de l’extérieur. Je n’habite pas tout l’entrepôt non plus… trop grand… et puis, le chauffage n’est pas assez puissant. La première pièce, c’est à la fois le garage, le salon et la cuisine. Le salon, c’est une chaîne hifi, un vieux fauteuil en cuir brun défoncé, et une table basse. C’est là que trône mes deux guitares, avec la Cort Accoustique en premier plan au dessus de la chaîne stéréo. Pas très classe mais très confortable.

A droite, directement face au salon, le « garage ». Où il n’y a rien. Juste quelques cartons… J’attends d’avoir assez d’argent pour me payer une moto… La cuisine en face est très rudimentaire, mais elle fonctionne et n’est pas infestée de cafards… Et enfin, un escalier en colimaçon mène à la chambre, au dessus.

On ne s’attend pas à voir ça de dehors. Il y a de l’espace entre les différentes « pièces ». J’ai bien dix pas à faire de la porte au fauteuil. Je pose mon sac sur la table, la guitare sur son pied. Et je désigne le fauteuil à Wesley-Boy.

« Faites comme chez vous… C’est pas très accueillant, mais c’est le mieux que je puisse faire… »

Un sourire, de nouveau forcé, et je pars dans la cuisine tenter de faire marcher la cafetière et trouver du café dans une armoire…

Wesley venant de me dire que mon logis n’est « pas mal »… Il ne l’a pas vu à ses débuts ! 3 ans que je remodèle ce petit endroit… Bon… Que je retrouve le café… Je l’ai vu hier… Ah le voilà ! Coquin va. Je commence par mettre de l’eau dans la cafetière, puis le café… Puis je mets en route…

Dit moi… Par curiosité… Je t’ai entendu jouer sacrément bien au bar, mais… Tes chansons étaient des reprises….Voyant ton matériel…. Je suppose que tu composes également, non ? Si c’est le cas je dois avouer que je serais heureux d’écouter de ton œuvre…

Ce sera prêt dans dix minutes… Je sais faire du café ! N’est-ce pas merveilleux ? En même temps, si je n’avais pas cette substance dégueulasse en réserve, je ne tiendrais jamais debout 10h sur une journée… Hm… Je me frotte tranquillement les mains, écoutant le policier. Etrangement, cette situation ne me fait pas peur. Pendant longtemps, j’ai redouté leur venue ici. Puis ils sont venus… Et revenus de temps en temps… Mais je n’ai plus peur. Juste une certaine appréhension…

Je l’observe depuis la cuisine tandis qu’il observe l’endroit. Lui et Haven Valentine ?... J’ai encore du mal à le croire. Et si ?... Bon sang… Deux pas et j’arrive à la table basse, récupérant une enveloppe pour la fourrer vivement dans ma poche.

Ma « correspondance » avec l’Âme…

Et lorsque je me retourne à nouveau, l’homme est allongé sur le sol…
Qu’est-ce qu’il fait… ? … … … Hein ?...

Ne t'inquiéte pas je bricole….Dit moi si tu as des outils je te répare ça…C’est dangereux tu sais….

Euhhh… Je reste comme une gourde plantée au milieu du salon pendant deux secondes, avant de comprendre et de rire légèrement, amusée.

« Je t’apporte ça … C’est bien la première fois qu’un flic rentre chez moi pour réparer la prise ! »

Mais avant, j’arrive à la chaîne stéréo et enclenche une légère musique. Pas assez fort pour déranger, juste un fond sonore apaisant… Puis je me dirige dans le garage pour récupérer la boite à outil dans un coin. Etrange… Mais au moins sa présence et ses actes me font oublier la soirée. Je trouve la boite à outil en entendant soudain un « aïe ! » à l’autre bout de la salle…

En effet, alors que je cherchais ce qu’il m’avait demandé, une petite boule de poil blanc s’était rapprochée de Wesley pour venir, au niveau de sa cheville, mordiller le tissu de sa chaussette. Et ses dents affûtées de petit rongeur aux longues oreilles tombantes avaient atteint la peau de notre cher policier nationalement connu, lui retirant ce petit mot qui dénotait une douleur.

Courant presque, je revenais vers mon invité, posant la caisse à outil à côté du petit lapin bélier pour le récupérer avant que Wesley-boy ne s’en débarrasse d’un coup de couteau.

« Pancakes ! Voyons ! Ce n’est pas comme ça qu’on accueille un invité ! Désolé, Wesley, il n’aime pas beaucoup les inconnus. »

Gardant le gros lapin dans mes bras, je m’assieds sur le divan, toujours tournée vers le lieutenant.

« Je vous présente Pancakes… C’est elle qui me tient compagnie ici. Au fait, vous n’êtes pas obligés de faire ça maintenant… Lorsque vous étiez dans la voiture, vous aviez l’air d’avoir vu un fantôme. Qu’est-ce qu’il vous est arrivé ?... Oh... Désolée, cela ne me regarde peut-être pas… Et puis, vous m’en avez déjà trop dit sur votre relation… Si vous me livrez trop de secret, cela pourrait vous nuire plus qu’autre chose… Ah ! Le café sera bientôt prêt. J’espère que vous l’aimez bien noir. Sinon je peux vous faire un thé si vous voulez. »

Je caressais ma petite boule de poil tout en parlant… Un peu trop peut-être. Je souris vaguement amusée de ma faculté à déblatérer tant de choses en une seule fois.

J’avais du mal à le tutoyer, mais lui semblait n’en avoir aucun. Peut-être devrais-je me détendre ? Me calmer, lui faire un peu plus confiance ? J’avais envie de me lâcher moi aussi, mais au lieu de cela, je lui demandais de me parler, de se lâcher lui, pour que mon esprit à moi se contracte un peu plus sous les secrets et les tensions de la vie…

Que c’est chiant la sociabilité… Hein Pancakes ? Je le câline, le pauvre petit lapin, alors que Wesley s’installe à côté de moi sur le seul divan disponible. Mais il y a largement assez de place pour deux, t’inquiètes pas Lieutenant. Je ne suis pas le genre de fille à sauter sur les hommes, surtout quand ils ont près de dix ans de plus que moi, et qu’ils travaillent pour la loi… et qui, désolée, n’incarnent pas du tout mon idéal physique …

La cafetière venait de s’arrêter. Et Wesley voulait bien goûter mon café ! A vrai dire, j’ignorai tout à fait s’il était bon ou non… Je le buvais depuis tellement de temps que je m’étais habituée… J’étais prête à me lever lorsque, de sa voix calme et plutôt tendre, il me coupa dans mon geste en me faisant remarquer une chose qui me ramena à la réalité des évènements qui s’étaient déroulés aujourd’hui…

Ecoute… Ca me fera du bien d’en parler avec toi….Sincèrement…. Mais….Pour le moment c’est pas le plus urgent… Va donc te laver…Je garderais Pancakes, ça nous permettra de faire connaissance et…Si tu as des œufs, du fromages et du jambon, je te préparerais aussi une délicieuse omelette en t'attendant…Ou je commanderais des pizzas au choix, j’ai un compte dans une bonne pizzéria… Et si après tout cela, tu es toujours prête à entendre le pourquoi du comment….Et la triste histoire insignifiante de ce qui fut l’histoire amoureuse de ma vie, alors je parlerais…

Mon réflexe est alors de porter mon regard sur mes vêtements. Décidément… Je devais rêver éveillée… Je n’avais même pas remarqué toutes ces taches de sang sur mon haut orange et mes bras. Il avait séché, évitant donc de tâcher la fourrure de mon petit lapinou blanc. Je pâlis un peu… Décidément, le sang dans mon visage jouait au yoyo ce soir… Je sentais la baisse de tension fatiguer mes muscles et ma pauvre petite tête. Je souris vaguement, les fantômes du cambriolage revenant hanter mes yeux bleus et verts.

Je me levais, posant calmement Pancakes sur les genoux de mon hôte et interlocuteur.

« Ce n’est pas de la mauvaise curiosité qui m’anime, tu sais ? Il y a juste que… J’ai eu peur pour toi tout à l’heure… On se connaît à peine et je ne sais pas si je mérite une telle confiance. Enfin bref, je vais prendre une douche… Et je crains qu’il n’y ait plus rien dans le frigo, désolée… J’suis un peu sur la corde raide ce mois-ci… »

J’avais une certaine honte à dire cela. J’aurais pu revendre une guitare ou deux pour manger, mais je préférais jouer de la musique que grignoter des cochonneries bon marché. J’étais maigre, pas encore dangereusement maigre, mais c’était vrai que j’étais un peu sous-alimentée ces derniers temps. Il fallait que je remédie à ça, mais ce soir n’était pas un soir pour y réfléchir. Je me dirigeais lentement dans ma chambre.

« Ah et le café est prêt, sers-toi ! » Lançais-je avant de disparaître à l’étage.

Le haut était aussi grand que le bas mais il n’était divisé qu’en deux pièces. Un grand matelas traînait au milieu du sol de bois un peu pourri, une ou deux couvertures par-dessus. A droite, un simple rideau séparait la chambre de la salle de bain. Il y avait de l’eau, mais rarement chaude… Vêtements, et autres affaires traînaient un peu partout, n’ayant pas d’endroits où les ranger, mais la plupart étaient propres. J’étais allée les laver deux ou trois jours plus tôt.

Mais les vêtements que je portais à présent étaient fichus. Merde ! Mais que pouvais-je y faire ? Je vidais mes poches sur le lit, m’étonnant un instant du nombre de billets qui y traînaient… Ah… Sourire léger… Wesley était gentil, et j’avais un léger pincement au cœur d’accepter autant de gentillesse… Mais les temps étaient durs… Pancakes aussi devait manger…

Je jetais les vêtements fichus dans un coin et, nue, m’en allait sous la douche glacée qui m’attendait…
Malheureusement, les taches de sang n’étaient pas les plus faciles à faire partir… Mais une fois que je les eus fait disparaître, je me rendis compte pourquoi j’avais légèrement mal au bras droit… Des bleus, d’une taille que je n’aurais jamais imaginée, tachaient ma peau de l’épaule au coude, résultat d’une rencontre douloureuse avec une porte…

Enfin… si je ne m’en tirais qu’avec ça, c’était bien, non ?

Une bonne vingtaine de minutes plus tard, tremblante, je sortis de la douche de fortune pour m’emmitoufler dans une serviette bien chaude. J’espérais que mon café n’ait pas été trop mauvais tout en prenant le temps d’enfiler un pantalon noir et un haut rouge… Laissant mes cheveux trempés s’égoutter sur mes épaules. Un dernier frisson et puis je redescendais trouver Pancakes et Wesley… Toute propre et bien réveillée…

Moi qui pensais essayer de trouver un rêve calme cette nuit pour me reposer un peu…

Aussitôt dit, aussitôt fait….Voila Pancakes qui se retrouve sur mes jambes, me fixant avec des yeux ronds et méfiants…

Bon mister longue dents…..Je te rassure, je ne suis pas là pour embêter ta maîtresse…Alors on pourrait peut être faire la paix….Bon déjà on va la nourrir un peu…Elle aime quoi comme pizza ?

Je dois etre fou….Je parle à un lapin qui a tenté de me mordre peu de temps avant… .Décidemment… Je me souris à moi-même, la solitude ne me réussit pas tant que cela.

Me voici décrochant mon portable….C’est une fille et mon expérience me disait que ce genre de minette c’était du genre à adorer le fromage.

Sergio….Martigan à l’appareil….C’est pour une commande….Deux pizzas taille familiale, une quatre fromage et une steack and cheese….Du soda orange, du coca en grandes bouteilles…Et de la bière…Un pack de six…

Ok ça faisait un peu beaucoup mais au moins la miss aurait à manger et des restes…Regard vert Pancakes…Et merde j’allais oublier quelque chose.

Tu me mets une salade verte avec tomates aussi… Sans sauce, nature…Je te donne l’adresse de livraison…

Je raccroche….Oui je dois vraiment être fou j’ai l’impression que le lapin m’observe plus calmement…Comme si il avait compris…. La fatigue de ses derniers temps doit se faire sentir…

Et c’est un quart d’heure plus tard que, une fois mon café fini, je posais Pancakes sur le sol pour ouvrir au livreur….Au moment où Chase descend….

Je me suis permis de commander à manger….Quatre fromages….Un peu à boire…Et une salade pour notre Pancakes…

Dis je posant sur la table les pizzas géantes, avant de m’ouvrir une bière et de m’asseoir…

Mange… Tu verras… Cela fait du bien….Et si il y a des restes ça remplira ton frigo…

Une gorgée de ma bière….Ah ça fait du bien un peu d’alcool, ça me réchauffe les veines…A nouveau mon regard va vers elle, un peu tristement…

Alors prête à écouter mon histoire ? je vous préviens c’est banal par rapport à votre quotidien…. Je n’ai pas eu beaucoup de relations dans ma vie… La première fut avec celle que je pensais aimer mon enfance, mon ex femme…. Et celle-ci… Bref on s’est quitté en mauvais termes, je n’étais pas assez….assez…. bon au lit pour elle désormais…

Ca avait été les propres mots d'Irina....Je finissais ma bière avant de continuer.

Après mon divorce les problèmes ont continué à affluer…. Il y a peu le gouvernement….M’a retiré ma fille…Je me suis faché avec celle qui était ma seule amie…Et Haven est rentré dans ma vie….

Je prenais alors une part de pizza, ouvrant une seconde canette au passage.

Oui Haven Valentine, la célèbre croqueuse d’hommes… On s’est rencontré sur une de mes enquêtes…Des…choses nous ont rapproché… Et je…. Je…. L’aime…. Pour elle, je suis jusqu’à aller vendre mon âme…. Je l’ai laissé… partir alors que j’aurai du l’emprisonner…. Et aujourd’hui…. J’ai un don…. Celui de voir des scènes se passant ailleurs….

Pas la peine de lui dire que je vois dans l’avenir, elle ne me croirait pas…Juste que je vois ailleurs…

Et aujourd’hui…. Je l’ai vu dans les bras d’un autre…. Passionnée comme jamais…. S’abandonnant à lui…. Bref…. On n’était pas marié et sans doute n’avais je pas non plusde choses à espérer…. Mais au fond de moi…. J’ai mal… Mal de me dire que je n’étais sans doute un mauvais coup de passage…. Un nom de plus à une liste….

Puis finissant ma part….

Et le pire de tout…. C’est que même si j’avais su que ça finirait comme cela….J’aurai agit exactement de la même façon…. Car même si elle ne ressentait rien pour moi…. Moi je l’aimais… et je l'aime toujours...

En descendant, j’avais entendu quelqu’un frapper à la porte, preuve que j’étais pile à l’heure. Moi et ma ponctualité ! Mouahaha… Et mon humour pourri aussi… Bref, je frissonnais lorsque la porte ouverte par Wesley laissa passer un courant d’air froid. Je passais alors une main dans mes cheveux trempés. J’avais l’impression qu’ils allaient se transformer en bâtonnets glacés… L’imagination peut être dangereuse, vous savez ?

L’odeur du fromage chaud et fondant me réveilla soudainement de mes pensées complètement débiles. Dans mon cerveau s’allumèrent deux lampes rouges et une grosse alarme « MANGER » et « FROMAGE ». Je finis de descendre les escaliers quatre par quatre.

J’imaginais déjà mes yeux pleins d’étoiles et ma mine de chat potté devant la taille des boites. Il venait de commander pour un régiment entier ! C’était pas possible ! Ce flic devait être bourré de fric ! Des pourboires de rêves et un dîner digne du paradis qui se présente à ma porte ! Ce devait être un ange… De plus, il m’avait sauvé la vie !

Décidément, j’adorais ce type. Bien que le recevoir chez moi avait été spécial, surtout après une nuit pareille, je ne le regrettais plus. A voir comment mon estomac réclamait cette nourriture qu’il posait sur la table… et comment ma pauvre lapine sautait sur la salade qu’il venait de lui présenter… Un saint, un ange… dans une ville qui pourrait représenter les enfers. Le pauvre devait s’être perdu…

Ou bien j’étais encore dans un de ces rêves super réalistes qui représentait mon appartement… Cela se pourrait-il ? Quand m’étais-je endormie ? Quand je me réveillerai, j’allais sans doute avoir un énorme mal de crâne…

Mais au moins, je n’aurais pas faim !

… Je n’avais pas envie de penser à ces rêves et aux fiches qui attendaient dans un coin de ma chambre, bien rangées. Encore moins à l’âme qui attendait des résultats. Encore moins aux cernes qui devaient entourer mes beaux yeux bleus. J’avais faim et soif, et l’odeur du fromage m’envoûtait de plus en plus.

« Je … Je n’ai jamais vu autant de bonnes choses sur ma seule table. Wesley ! … MERCI ! Je ne vous connais pas encore assez pour vous sauter dessus et vous serrer dans mes bras mais l’intention est là ! »

Le sourire qui étire mes joues me ferait presque mal. Manger ? Oh oui, ne t’inquiète pas, Wes-boy, je vais te la dévorer, ta pizza toute chaude ! Et tout ça en t’écoutant avec une oreille plus qu’attentive.

Et voilà ça commence… Chase, celle qui écoutait les gens parler. Oh, ça ne me dérange pas. Je n’ai pas souvent de compagnie. Et puis, si ça peut l’aider lui, tant mieux. J’aurais peut-être au moins fait une bonne action dans ma vie. Est-ce vraiment un rêve ? Je doute que j’aurais pu imaginer tout ça.

Son ex-femme… Je n’ai que dix-sept ans, et je ne sais pas vraiment ce qu’est l’amour. Mais cela ne me viendrait jamais à l’idée de quitter quelqu’un parce qu’il « n’est pas assez bon au lit ». On ne choisit pas les gens pour avoir un objet sexuel avec lequel s’amuser, si ?... C’est l’enfer, tout peut arriver, après tout… C’est dégoûtant. Moi aussi je me sers à boire. J’hésite un instant mais la bière ne peut pas me faire du bien ce soir. Je préfère rester lucide. La limonade, c’est très bien. Et j’avale une nouvelle part de pizza en réfléchissant.

Haven Valentine… Elle traînait dans mes papiers aussi, me semblait-il. Et je l’avais vue plusieurs fois dans les rêves des autres. Oui, cette femme était… Comment dire… Envoûtante. Les hommes tombaient devant ses pieds comme des mouches. Enfin,… Non, je n’en sais rien. Les seules fois où je l’ai « vue », ce n’était pas la vraie femme. Elle n’avait sans doute rien de son caractère. Seule l’enveloppe corporelle avait été utilisée, et les hommes en faisaient alors ce qu’ils voulaient. Mais, en général, je quittais ce genre de rêve avant d’en voir plus.

Je me demande, en même temps, quel genre d’enquête a pu rapprocher un ange d’une salope. Mais, posant mon regard sur Wesley, je me tais, glissant ma question dans un recoin de mon cerveau. Et j’imagine – également silencieusement – cette tragique scène, séparation d’un ange abusé et d’une femme sans aucun scrupule. Un pincement au cœur… Pauvre Ange.

Le don de voir des scènes se passant ailleurs ?... Jamais entendu parler. Une sorte de… vision ? Une double vue ? Je souris légèrement, l’encourageant à continuer. Je ne suis pas le genre de fille qui ne croit en rien. Et j’ai vu tellement de choses que plus rien ne m’étonne. S’il connaissait mon don à moi… Me croirait-il, lui ? Peut-être tenterais-je l’expérience un jour…

Mais que dire à tout ça ? … Rien. Je ne connais pas encore assez l’amour pour conseiller un homme d’âge mûr. Moi, je ne suis que l’oreille attentive, ce soir, qui a fini de manger sa pizza encore vivante à demi. J’ai le ventre plein et la tête pleine de pensées. Je l’observe simplement, une petite moue collée aux lèvres. Ah ! … Je n’ai pas envie de tomber amoureuse, moi, en tout cas.

« Dites-moi, Wesley… Est-ce que vous pensez que toute cette soirée ne pourrait être qu’un rêve et que vous pourriez vous réveiller à tout moment dans votre chambre, vos draps en pagaille et l’esprit complètement en vrac ? »

J’attrape Pancakes et la pose sur mes genoux, caressant ses douces oreilles. Elle aime ça.

« Moi, j’ai toujours cette impression… Parfois, c’est beaucoup plus clair… Et en d’autres temps, c’est comme ce soir. Est-ce que vous venez vraiment de me dire tout ça ? Est-ce que c’est vrai ? Ce n’est pas que je ne vous crois pas. Mais j’aimerai être sûre. … Ce que je vous dis ne doit pas être très clair. Excusez-moi ! »

Je soupire, tournant mon regard vers le plafond qui s’effrite et qui rouille.

« Haven Valentine… Est recherchée. Officiellement morte pour les citoyens, l’âme n’y croit pas du tout. Et vous savez qu’elle ne l’est pas. Cette vie n’est qu’un putain de jeu dangereux. Oh… Excusez-moi encore pour le langage. Je sais, ça sort tout seul… Désolée. Mais voilà, j’suis une fille des rues. Vous croyez que je peux me payer tout ça ? Avec mon boulot minable ?... »

Non, cet appartement n’est pas ce qu’il croit… C’est une cage camouflée dans laquelle il vient me faire une petite visite. J’espère juste que personne d’autre ne le saura.

Toute cette conversation s’en allait dans une direction qui était loin de me rassurer. Je câlinais mon lapin en observant le policier qui me parlait avec un sérieux et une gravité qui me stressait un peu. Je ne savais que dire, et j’avais peur que les mots que j’avais déjà prononcés ne nous mènent plus loin… Un peu comme lors d’un premier flirt, où l’on ne sait pas si le baiser pire qu’un effleurement va vous mener directement dans un lit ou restera sans suite…

Ce n’est qu’après son émouvant discours que je me calme un peu et sourit. Les compliments me touchent. Vraiment. Je me détends, attendant la suite car apparemment, il n’a pas terminé de parler. Tiens ? Passage du vouvoiement au tutoiement… Bah ! Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre sur ce coup-là, vous savez ? Je n’ai pas l’habitude de vouvoyer les gens. Les clients du Parab’ ont plutôt l’habitude de m’appeler minette ou bien juste Chase… Il faut dire, ce ne sont pas des exemples de politesse mais ils sont souvent assez gentils.

On a tous nos défauts…Et pour revenir au sujet des rêves je me souviens d’une citation d’un prof de psychologie à l’école de police : « Tout homme a un rêve, tout homme a une chose dans sa vie pour laquelle il pourrait devenir un héro… » Bien sur la suite de la citation est moins drôle : « Tenez le rêve et vous tiendrez l’homme… »

J’hausse un sourcil, relevant le regard sur lui… Je ne connaissais pas cette citation. Je souris vaguement, restant toujours silencieuse. Je n’arrive pas à saisir pour l’instant la profondeur de cette phrase. J’ai du mal à réfléchir, je suis un peu fatiguée et je n’ai guère plus envie de me creuser la tête à cette heure du soir… ou de la nuit. A définir.

Mais cette situation me fait sourire finalement.

« Je crois qu’on se ressemble un peu plus qu’on le pense… Tu… »

Mais je suis alors coupée dans ma phrase par la sonnerie du téléphone… De mon téléphone… Et mon regarde se tourne vers le petit trembleur qui clignote sur la table de la cuisine. Un coup d’œil vers Wesley, et voilà que je pose Pancakes par terre en m’en allant pour décrocher.

« Excuse-moi… »

Je décroche et colle le portable sur mon oreille. J’avais déjà un soupçon quant à ce qui m’attendait alors, mais la voix me fit tout de même sursauter, coupant court à ma respiration.

C’était une voix caverneuse, sombre et froide… Modifiée électroniquement sans doute pour que je ne connaisse rien de l’identité de mon interlocuteur. Et il commençait toujours par cette même phrase qui me mettait plus mal à l’aise qu’autre chose, chassant toute présence sanguine de mon visage.

« Bonsoir, ma petite Chase, comment vas-tu ? ... »

Je tourne calmement le dos à Wesley, répondant à mi-voix.

« Bonsoir… Je vais bien, ça va. »

« Tant mieux. Alors ? Nous n’avons plus beaucoup de nouvelles de ta part… Tu sais pourtant ce qui t’attend si tu ne nous livres pas ce que nous demandons, n’est-ce pas ?... »

« Oui, je sais. »

« Et il parait que tu reçois le lieutenant Martigan dans ton salon ? »

Je déglutis.

« Exact. »

« Alors tu n’auras aucun mal à le retrouver dans tes rêves cette nuit ! Prends des notes : nous voulons tout savoir sur cet homme. Pour qui il travaille ? Quel est son but ? Que sait-il sur nous et la disparition de sa fille ? Est-il toujours en contact avec la fugitive Haven Valentine ? D’ailleurs, elle aussi est sur ta liste, tu devrais réviser tes fiches, ma petite Chase… »

« Attendez, je … »

Mais il avait déjà raccroché…

Je raccrochais à mon tour, soupirant… Avant de me souvenir que Wesley était dans mon dos et m’observait…

J’étais figée… J’allais faire quoi maintenant, moi ?